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ne vient la demander, dit le seigneur, nous la garderons. Elle sera la joie de nos vieux jours… » Sa femme acquiesça d’un sourire, et des reflets d’amour maternel passèrent dans ses yeux…

La petite sauvagesse ne fut pas réclamée. Elle devint donc leur fille d’adoption. Ils la nommèrent Diana parce qu’elle était issue des coureurs de bois et que ses pères étaient réputés adroits chasseurs, épris de la solitude des forêts. Son esprit était vif et ses yeux pétillants. Le seigneur lui enseignait lui-même à parler, à lire et à écrire ; et elle oublia bientôt sa propre langue. Elle devint une robuste jeune fille, grande, et rousse comme le bois d’automne. Sa chevelure, très épaisse, retombait en nattes soyeuses sur ses épaules, et ses yeux, grands et profonds, plus noirs que l’ombre des nuits, gardaient toujours une étrange expression de mystère et d’insondable nostalgie. Elle était douée d’une voix merveilleuse. D’elle-même elle se mit à fredonner des airs de toutes sortes. Sa voix était si belle que c’était plaisir d’entendre ces petits riens joyeux qui s’échappaient de ses lèvres. Peu à peu, elle apprit un grand nombre de ces vieilles chansons françaises qui se chantaient et se chantent encore dans les veillées canadiennes. Elle chantait avec un charme incomparable l’exquise romance ; « C’est un oiseau qui vient de France. » Le vieux seigneur la lui faisait chanter souvent. Par les soirs de printemps et d’été, à l’heure où le ciel et la terre eux-mêmes semblent se recueillir, à cette heure où les parfums montent du sol et la tendresse des cœurs longtemps et très tard la jeune Montagnaise jetait sa chanson dans l’air pur. Parfois, sa voix harmonieuse avait des douceurs infinies… Et le vieillard, dont les jours s’en allaient, un à un, le rapprochant sans cesse de la tombe, trouvait une joie nouvelle à entendre chanter cette enfant dont la vie commençait. « Encore une fois ! » suppliait-il, « encore une fois ! » Et sans se lasser, la jeune fille, aimante et docile, reprenait sa suave chanson, née sur les rives de la belle France. Et le vieillard, retombant dans sa rêverie, oubliait la fuite des jours qui ne reviennent plus.

Mais un jour le seigneur vit arriver cher lui un couple de Montagnais. La femme, grande, forte aux yeux de feu, les cheveux noirs et brillants, tressés en nattes repliées, et retenus sur les oreilles par de larges cordons rouges. Elle portait des souliers de