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VISAGES DE FEMMES

la Guadeloupe, avec Marceline, qu’elle y chercherait le cousin, que le cousin lui donnerait une fortune et qu’elle reviendrait ainsi toute chargée d’or.

Provisoirement, elle partait sans le sou. Elle n’avait seulement pas de quoi payer la traversée. Il fallut qu’à Lille, et puis à Rochefort, et puis à Bordeaux, la petite fille de treize ans montât sur les planches et jouât la comédie pour gagner de quoi ne pas mourir de faim. C’est le commencement de son étrange, lamentable et involontaire bohème.

Elle gagna un peu d’argent : on le lui vola. Ensuite, à Bayonne, quelque brave femme, attendrie de pitié, lui en donna davantage, assez pour que sa mère et elle pussent aller modestement à la Guadeloupe.

Elles allaient ainsi, provinciales innocentes, chez les nègres !… Il faut penser qu’à Douai, la jeune Marceline et sa mère n’avaient jamais vu de gens de cette couleur-là, et que, dans leur imagination, le pigment noir était un objet d’effroi, autant que de curiosité, probablement.

En 1801, quand elles s’embarquèrent, Marceline avait quinze ans. Déjà, pour elle, tout s’arrangeait mal. Le mauvais bateau qui les amenait trouva la Guadeloupe en flammes. Les nègres s’étaient révoltés contre les colons ; ils avaient pillé, saccagé, tué. Maintenant ils régnaient, et avec une rancune meurtrière. Ils incendiaient les