Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/278

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
MARCELINE DESBORDES-VALMORE

des journées soudain transformé en quelque chose d’inaccoutumé, de bizarre, l’humble famille perdit la tête.

Parmi les grands-parents de Marceline, il y eut un singulier bonhomme, le père de son père, Antoine Desbordes. Il était natif de Genève et il exerçait la profession d’horloger. Il épousa Marie Barbe Quiquerez, du Quesnoy ; et il vint s’établir dans le Nord. S’établir !… Il ne pouvait pas tenir en place. Il s’en allait, restait plusieurs années absent ; et puis, aussi soudainement qu’il était parti, il revenait. Il aimait Marie-Barbe ; du moins, je le suppose. À chaque fois qu’il revenait, la famille s’accroissait d’un bébé. Mais, à peine avait-on baptisé la petite fille ou le garçon, il se sauvait. Une fois, il disparut pendant onze ans : il revint, fut père, et s’en alla. Quand il revint pour la dernière fois, il était très malade. Il refusa de rentrer chez lui, s’établit à l’auberge du Signe de la Croix et puis se fit transporter à l’hospice. Étrange vagabond, qui veut mourir en court-les-routes !… Il appela Marie-Barbe, son fils aîné qui avait vingt-cinq ans, ses autres enfants et, entouré ainsi, rendit à Dieu qui est partout son âme d’incorrigible voyageur.

Je sais bien qu’il ne faut pas attribuer aux influences héréditaires une importance décisive. Si elles avaient cette importance-là, les frères et les sœurs de Marceline auraient été pareils à elle ; et pas du tout !… Sauvegardons l’individualité,