Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/95

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui est en possession d’institutions libres ; elle sait que l’esclavage est mauvais parce qu’elle jouit de la liberté ; elle doit détester l’injustice et la persécution, puisqu’elle pratique chaque jour l’équité, la charité, la tolérance…

Dans un pays barbare, en présence des plus grandes misères, on n’a dans le cœur qu’une haine, c’est contre le despote. À lui seul la puissance ; par lui tous les maux ; contre lui toutes les imprécations.

Mais, dans un pays d’égalité, tous les citoyens répondent des injustices sociales, chacun d’eux en est complice. Il n’existe pas en Amérique un blanc qui ne soit barbare, inique, persécuteur envers la race noire.

En Turquie, dans la plus affreuse détresse, il n’y a qu’un despote ; aux États-Unis, il y a pour chaque fait de tyrannie dix millions de tyrans.

Ces réflexions se présentaient sans cesse à mon esprit, et je sentais se développer dans mon âme le germe d’une haine profonde contre tous les Américains ; car enfin l’infortune de Marie était l’œuvre de leurs lois barbares et de leurs odieux préjugés ; chacun d’eux était à mes yeux un ennemi.

Je voyais bien des tentatives faites par quelques hommes généreux pour remédier au mal ; mais ce mal est de ceux qui ne se guérissent que par les siècles.

Dans une société où tout le monde souffre une égale misère, il se forme un sentiment général qui pousse à la révolte, et quelquefois la liberté sort de l’excès même de l’oppression.

Mais dans un pays où une fraction seulement de la société est opprimée, pendant que tout le reste est à l’aise, on voit la majorité arranger ses existences heureuses en regard des misères du petit nombre ; tout se trouve dans l’ordre et sagement réglé : bien-être d’un côté, abjection et souffrance de l’autre. L’infortuné peut se faire entendre, mais non se faire craindre, et le mal, quelque révoltant qu’il soit, ne se guérit point par son extrémité, parce qu’il grandit sans s’étendre.

Le malheur des noirs opprimés par la société américaine ne peut se comparer à celui d’aucune des classes souffrantes que présentent les autres peuples. Il y a partout de l’hostilité