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Peut-être aussi l’oppression qui pèse sur toute une race d’hommes paraît-elle plus odieuse et plus révoltante, à mesure que le pays où elle se rencontre est régi par des institutions plus libres.

L’Orient nous offre des pays barbares, où le caprice d’un tyran se joue de la vie des hommes, où la puissance publique s’annonce par des spoliations, et la soumission des sujets par des bassesses, où la force tient lieu de loi, le bon plaisir de justice, l’intérêt de morale, et la misère universelle de consolation. Là, chacun subit la vie comme un destin : oppresseur ou opprimé, eunuque ou sultan, victime ou bourreau. Nulle part le mal, nulle part le bien ; il n’y a que d’heureuses fortunes et des sorts malheureux : le crime et la vertu sont des fatalités.

M’étonnerai-je de trouver dans ces contrées funestes des millions d’hommes voués à l’esclavage ? Non ; à peine remarquerai-je cet outrage à la morale dans une société fondée sur le mépris de toutes les lois de la nature et de l’humanité ; là, chaque vice social est un principe, et non un abus ; il est nécessaire à l’harmonie du tout.

J’éprouve une autre impression quand, chez un peuple libre, je rencontre des esclaves ; lorsqu’au sein d’une société civilisée et religieuse, je vois une classe de personnes pour laquelle cette société s’est fait des lois et des mœurs à part ; pour les uns une législation douce, un code sanguinaire pour les autres ; d’un côté, la souveraineté des lois ; de l’autre, l’arbitraire ; pour les blancs, la théorie de l’égalité ; pour les noirs, le système de la servitude… deux morales contraires : l’une, au service de la liberté ; l’autre, à l’usage de l’oppression ; deux sortes de mœurs publiques : celles-ci douces, humaines, libérales ; celles-là cruelles, barbares, tyranniques.

Ici le vice me choque davantage, parce qu’il est en relief sur des vertus… mais ce fond de lumière, qui rend l’ombre plus saillante, la rend aussi plus importune à ma vue…

Les tyrans sont peut-être de bonne foi quand ils disent qu’on ne saurait gouverner les hommes sans des lois iniques et cruelles ; ils n’en savent pas d’autres ; et ce langage peut être cru des peuples qui n’ont jamais connu que la tyrannie.

Mais une pareille excuse n’appartient point à une nation