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» Partout où la société se partage en hommes libres et en esclaves, il faut bien s’attendre à trouver la tyrannie des uns et la bassesse des autres ; le mépris pour les opprimés, la haine contre les oppresseurs ; l’abus de la force, et la vengeance…

» Mais, quelle terre de malédiction, ô mon Dieu ! quelle dépravation dans les mœurs ! quel cynisme dans l’immoralité ! et quel mépris de la parole de Dieu dans une société de chrétiens !

» Cependant, sur cette terre de vices et d’impiété, mes yeux distinguèrent une jeune orpheline, innocente et belle, simple dans sa pensée, et fervente dans sa foi religieuse ; elle était d’origine créole. J’unis ma destinée à celle de Thérésa Spencer. D’abord le ciel nous fut propice ; la naissance de Georges et de Marie fut, en quelques années, le double gage de notre amour. J’avais fait de grandes entreprises commerciales ; elles prospéraient toutes selon mes vœux. Hélas ! notre bonheur fut passager comme celui des méchants ! Je ne suis point impie, et la foudre du Dieu vengeur a courbé ma tête.

» Avant son mariage, Thérésa Spencer avait attiré les regards d’un jeune Espagnol, don Fernando d’Almanza, d’une famille très-riche, dont la fortune remonte au temps où la Louisiane était une colonie espagnole. Rien n’était plus séduisant que ce jeune homme ; son esprit n’était point inférieur à sa naissance, et la distinction de ses manières égalait la beauté de ses traits. Cependant Thérésa l’éloigna d’elle. Je ne sais quel sens intime lui fit deviner un ennemi dans l’homme qui lui déclarait le plus tendre amour.

» Nous avons su depuis qu’il aspirait à l’aimer sans devenir son époux.

» La rigueur de Thérésa l’irrita vivement, et plus tard le spectacle de notre félicité rendit sans doute encore plus cuisantes les douleurs de sa vanité blessée, car il conçut et exécuta bientôt une détestable vengeance.

» Il répandit secrètement le bruit que Thérésa était, par sa bisaïeule, d’origine mulâtre ; appuya cette allégation des preuves qui pouvaient la justifier ; nomma tous les parents de Marie, en remontant jusqu’à celle dont le sang impur avait, disait-il, flétri toute une race.