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dans le sud de l’Amérique, une humidité froide et pénétrante ; cette fraîcheur soudaine, exhalée de la terre, est pernicieuse, et j’allais en recevoir l’impression funeste.

Cependant le péril était loin de ma pensée. J’avais le cœur plein des émotions qui venaient de m’agiter. L’image de Marie était toujours devant moi ; je m’étais endormi dans son souvenir : des songes légers m’entretenaient de son amour et présentaient à mes yeux mille charmantes apparitions ; il me semblait voir la fille de Nelson assise à mes côtés. Sa beauté, sa grâce, enivraient mes regards. Mais sa tristesse mystérieuse troublait ma joie ; je lui disais : « Marie ! pourquoi pleures-tu ? quel tourment secret peut déchirer ton cœur ? Ange de douceur et de bonté, serais-tu sur la terre pour souffrir, toi dont le regard seul enchante et console ? Si tu es malheureuse, pourquoi ne déposes-tu pas ton cœur dans le cœur d’un ami ? Hélas ! tu ne peux savoir combien tu es aimée de Ludovic. Toi seule as ranimé du feu de tes regards ma vie pâle et près de s’éteindre, et mon âme, jadis avide, insatiable, se réjouit maintenant du sentiment unique dont elle est remplie. » Et j’entendais sa douce voix me répondre par des accents tendres et mélancoliques ; je prenais sa main ; je la pressais sur mon cœur ; je la couvrais de baisers, et l’arrosais de mes larmes.

Tout à coup je me réveille… je sens l’impression d’une main qui glisse doucement sur mon front ; j’entr’ouvre les yeux… Que vois-je ! ô mon Dieu ! Marie ! Marie agenouillée près de moi, et levant au ciel ses mains suppliantes.

Oh ! jamais tant de sentiments divers ne se pressèrent à la fois dans le fond de mon cœur !

Si rien n’est plus triste que le réveil quand il dissipe le fantôme d’un rêve charmant, quoi de plus doux qu’un songe d’amour et de volupté, qui par une touchante erreur, attendrit notre âme, et la prépare aux impressions d’une délicieuse réalité ? Ce bonheur, dont le sommeil ne m’avait offert que la chimère, j’en jouissais maintenant, et j’y mêlais tous les prestiges de l’illusion qui n’était plus.

D’abord je fus muet en présence de celle qui était toute ma vie, car je ne savais pas si quelque vision n’abusait pas mes