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Ainsi, partis de deux points contraires, ces infortunés sont parvenus ensemble au même but, l’un par le crime, l’autre par l’innocence ! Ce sont là les mystères de l’humanité ; le même asile recèle l’âme candide et pure qui rêvait ici-bas les félicités du ciel, et l’être cruel qui cherchait sa joie dans le sang des hommes ; la société les a bannis tous deux de son sein, comme si elle ne comportait pas plus l’extrême bien que l’extrême mal !

Je me livrais à ces tristes réflexions, lorsque j’entendis des hurlements affreux. — Ce sont, me dit un geôlier, les cris d’un nègre atteint de démence furieuse ; voici la cause de sa folie : il existe, dans le Maryland, un Américain dont la profession est d’acheter et de vendre des esclaves. Il en fait un immense commerce, et c’est peut-être, aux États-Unis, le plus grand marchand de chair humaine : toute la population de couleur le connaît et l’abhorre ; il semble que l’odieux de l’esclavage se personnifie en lui. Le pauvre nègre dont vous entendez la voix fut amené par cet homme de la Virginie dans le Maryland, pour y être vendu, et subit, durant la route, de si cruels traitements, que sa raison s’égara. Depuis ce temps, une idée fixe le poursuit et ne lui laisse pas un seul instant de repos ; il croit voir toujours son ennemi mortel à ses côtés, épiant le moment favorable pour couper sur son corps quelques lambeaux de chair, dont il le suppose affamé. Sa fureur est si grande que nul ne peut l’approcher ; il prend pour le marchand de nègres chaque personne qu’il aperçoit ; un seul être a sur lui quelque puissance ; ses cris s’apaisent quand il voit Marie Nelson. Je ne sais par quelle tendre compassion et par quel charme, au pouvoir des femmes seules, elle a pu trouver accès dans son cœur ; il est, à la vérité, de tous les malheureux renfermés dans cette enceinte, celui pour lequel elle témoigne la plus vive sympathie ; et c’est ce que je ne puis comprendre… car enfin, ce n’est qu’un homme de couleur ! —

Nous approchions de la cellule d’où partaient des cris de fureur. — Regardez, me dit le geôlier en m’ouvrant la porte.

Et je vis un nègre de haute stature, à figure énergique et mâle ; il portait sur ses traits des signes de noblesse, et ses membres annonçaient une grande force musculaire ; sa bou-