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dont la direction donne le moins de gloire aux gouvernants. Nul n’est chargé de la conduire ; elle a besoin de marcher seule. Le maniement des affaires n’y dépend point de quelques hommes, il est l’œuvre de tous. Là les efforts sont universels, et toute impulsion particulière nuirait au mouvement général. Dans ce pays l’habileté politique ne consiste pas à agir, mais à s’abstenir et à laisser faire. C’est un grand spectacle que celui de tout un peuple qui se meut et se gouverne lui-même ; mais nulle part les individus ne sont aussi petits.

Je crois aussi qu’aucun pays n’est plus étranger que les États-Unis aux grandes entreprises et aux crises politiques qui mettent en relief le mérite d’un homme, son génie, sa supériorité sur ses concitoyens. Les Américains n’ont point de guerre à soutenir, parce qu’ils n’ont point de voisins ; et l’intérieur du pays n’est point sujet aux grandes perturbations, parce qu’il n’y a point de partis *. Quelles occasions de gloire reste-t-il, quand on n’a pas à sauver son pays de l’anarchie, ni à protéger son indépendance contre les attaques de l’étranger ?

Les États-Unis font cependant de grandes choses ! leurs habitants défrichent les forêts de l’Amérique, et répandent ainsi la civilisation européenne jusqu’au fond des plus sauvages solitudes ; ils s’étendent sur la moitié d’un hémisphère ; leurs vaisseaux portent sur tous les rivages leur nom et leurs richesses ; mais ces grands résultats sont dus à mille efforts partiels, qu’aucune puissance supérieure ne dirige, à mille capacités médiocres qui n’appellent point le secours d’une plus haute intelligence.

Cette uniformité, qui règne dans le monde politique, se retrouve également dans la société civile. Les relations des hommes entre eux n’ont qu’un seul objet, la fortune ; un seul intérêt, celui de s’enrichir. La passion de l’argent naît chez les Américains avec l’intelligence, traînant à sa suite les froids calculs et la sécheresse des chiffres ; elle croît, se développe, s’établit dans leur âme, et la tourmente sans relâche, comme une fièvre ardente agite et dévore le corps débile dont elle s’est emparée. L’argent est le dieu des États-Unis, comme la gloire est le dieu de la France, et l’amour celui de l’Italie.