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et le temps qu’on ne passait point à l’office religieux s’écoulait silencieusement dans la lecture et la méditation de la Bible. Cette rigide observance du saint jour était la même par toute la ville ; cependant Nelson ne cessait d’accuser Baltimore d’irréligion et d’impiété : « Le Maryland, disait-il, est bien loin de valoir la Nouvelle-Angleterre, cette patrie des bonnes mœurs et de la religion. Du reste, ajoutait-il, les principes de la morale se relâchent tous les jours dans ce pays, et la Nouvelle-Angleterre elle-même ne se préserve point de la corruption générale. Croiriez-vous, me disait-il avec l’accent d’une douleur profonde, qu’on n’arrête plus les personnes qui voyagent le dimanche *, et que la malle-poste elle-même, qui porte les depêches du gouvernement central , circule pendant le jour du Seigneur ** ? Si ce progrès funeste ne s’arrête pas, c’en est fait, non seulement de nos mœurs privées, mais encore des mœurs publiques : point de moralité sans religion ! point de liberté sans le christianisme !

Comme il voyait dans l’expression de ma physionomie bien moins d’indignation que d’étonnement : Je sais, me dit-il, que la France est une terre d’immoralité ; tout le mal vient du papisme. Les catholiques ont tellement enveloppé le christianisme de formes matérielles, qu’ils ont perdu de vue le principe moral qui en est l’âme. Mais l’œuvre de la reforme s’achèvera, la France sera religieuse quand elle sera protestante ***. »

Ce zèle ardent pour les choses immatérielles s’alliait, chez Nelson, à des sentiments d’une tout autre nature : son amour pour l’argent était incontestable ; il était rare qu’après nous avoir entretenus des intérêts de son église et de ses méditations religieuses, il n’engageât pas quelque discussion sur le meilleur système de banque à fonder, sur les escomptes, sur le tarif, sur les canaux et les routes en fer. Son langage, ses souvenirs de commerce et de fortune, dénotaient une passion pour les richesses qui, poussée à un certain point, prend le nom de cupidité ; singulier mélange de nobles penchants et d’affections impures ! J’ai trouvé partout ce contraste aux États-Unis : ces deux principes opposés luttent incessamment ensemble dans la société américaine ; l’un, source de droiture ; l’autre, de mauvaise foi.