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peuple de la terre il n’y a autant de banqueroutiers. Ce phénomène a deux causes principales : d’une part le commerce des États-Unis est placé dans les conditions les plus favorables qui se puissent imaginer : un sol immense et fertile, des fleuves gigantesques qui fournissent des moyens naturels de communication, des ports nombreux et bien placés ; un peuple dont le caractère est entreprenant, l’esprit calculateur et le génie maritime ; toutes ces circonstances se réunissent pour faire des Américains une nation commerçante. Voilà la cause de richesse ; mais par la raison même que le succès est probable, on le poursuit avec une ardeur effrénée ; le spectacle des fortunes rapides enivre les spéculateurs, et on court en aveugle vers le but : c’est là la cause de ruine. Ainsi tous les Américains sont commerçants, parce que tous voient dans le négoce un moyen de s’enrichir ; tous font banqueroute, parce qu’ils veulent s’enrichir trop vite.

Peu de temps après mon arrivée en Amérique, comme j’entrais dans un salon où se trouvait réunie l’élite de la société de l’une des plus grandes villes de l’Union, un Français, fixé depuis longtemps dans ce pays, me dit : « Surtout n’allez pas mal parler des banqueroutiers. » Je suivis son avis et fis bien ; car, parmi tous les riches personnages auxquels je fus présenté, il n’en était pas un seul qui n’eût failli une ou deux fois dans sa vie avant de faire fortune.

Tous les Américains, faisant le commerce, et tous ayant failli plus ou moins souvent, il suit de là qu’aux États-Unis ce n’est rien que de faire banqueroute. Dans une société où tout le monde commet le même délit, ce délit n’en est plus un. L’indulgence pour les banqueroutiers vient d’abord de ce que c’est le malheur commun ; mais elle a surtout pour cause l’extrême facilité que trouve le failli à se relever. Si le failli était perdu à jamais, on l’abandonnerait à sa misère ; on est bien plus indulgent pour celui qui est malheureux quand on sait qu’il ne le sera pas toujours. Ce sentiment, qui n’est pas généreux, est pourtant dans la nature de l’homme.

On comprend maintenant pourquoi il n’existe aux États-Unis aucune loi qui punisse la banqueroute. Electeurs et législateurs, tout le monde est marchand et sujet aux faillites ; on ne veut point porter de châtiment contre le péché universel. La loi, fût-elle faite, demeurerait presque toujours sans application. Le peuple, qui fait les lois par ses mandataires, les exécute ou refuse de les exécuter dans les tribunaux, où il est représenté par