Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant il ne songea, dans le premier moment, qu’à démontrer la sagesse de ses projets.

— Vous venez, dit-il à Ludovic, de me présenter un coin du tableau. J’admets avec vous qu’il s’y peut rencontrer des taches ;... mais l’Amérique n’en renferme pas moins les éléments essentiels du bonheur. Il y a, aux États-Unis, deux choses d’un prix inestimable, et qui ne se trouvent point ailleurs : c’est une société neuve, quoique civilisée, et une nature vierge. De ces deux sources fécondes découlent une foule d’avantages matériels et de jouissances morales. Je vous avouerai d’ailleurs que le portrait que vous venez d’offrir à mes yeux, quelque vrai qu’il puisse être en général, ne me paraît pas ressembler à toutes les femmes d’Amérique. J’en ai vu dont les passions ardentes se peignaient dans un regard brûlant. Ce pays contient des peuples de races diverses... S’il en est que refroidissent les glaces du pô1e, il en est d’autres qu’échauffe le soleil des tropiques...

À ces mots, les traits de Ludovic se contractèrent ; il éprouvait une émotion que le voyageur ne pouvait comprendre. Celui-ci continuant : — Je crois , dit-il, que nous apportons dans notre opinion sur les États-Unis une disposition d’esprit différente ; je juge ce pays gravement ; vous, avec légèreté... Vous êtes frappé des ridicules et du peu d’élégance de cette société, et vous en riez ; et moi...

— Arrêtez, s’écria Ludovic d’une voix sévère ; vous méconnaissez mon caractère, et votre erreur est plus cruelle que vous ne pouvez le croire. Non ! il n’y a rien de gai, rien de frivole dans ma pensée… ma bouche peut sourire encore… mais depuis longtemps mon cœur ne connaît plus de joie... Vous croyez que je me suis éloigné des hommes parce que ma raison ne les comprend pas, ou que mon cœur les déteste ; vous me prenez pour un méchant ou pour un insensé !... détrompez-vous... Mon intelligence n’est point égarée, et je ne hais point mes semblables, loin desquels je traîne ma vie malheureuse !… Pour en venir au point où je suis arrivé, j’ai traversé bien des abîmes... Ah ! il serait à souhaiter pour vous que vous comprissiez mieux ma destinée ; les écueils de ma vie sont les mêmes où je vous vois prêt à vous briser... Vos illusions furent les miennes ; ce sont elles qui m’ont