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J’ai dit que les Indiens n’avaient point de lois, qu’ils n’étaient gouvernés que par les traditions, les coutumes, les sentiments, les mœurs ; plus toutes ces choses étaient stables et réglées, plus la société était forte et tranquille.

C’est en changeant les opinions, en altérant les coutumes et en modifiant les mœurs, que les Européens ont produit la révolution dont je parle.

L’approche des Européens a exercé sur les Indiens une influence directe et une autre indirecte, toutes les deux également funestes.

L’Indien, malgré son orgueil, sent au fond de âme que la race blanche a acquis sur la sienne une prépondérance incontestable, et l’exemple des Européens, qu’il méprise, obtient cependant un grand pouvoir sur ses opinions et sur sa conduite : or, le malheur a voulu que les seuls Européens avec lesquels les sauvages entraient habituellement en contact fussent précisément les plus dépravés d’entre les blancs.

J’ai dit qu’il se faisait avec les indigènes un grand commerce de fourrures. Les Européens qui servent de courtiers à ce commerce sont, pour la plupart, des aventuriers sans lumières et sans ressources, qui trouvent dans la liberté désordonnée des bois la compensation des travaux pénibles auxquels ils se vouent. Ces étrangers ne font connaître à l’indigène de l’Amérique que les vices de l’Europe ; et ce qu’il y a de plus déplorable encore, ils le mettent en contact avec ceux des vices de l’Europe qui, ayant le plus d’analogie avec les siens, peuvent le plus aisément se combiner avec eux. Ils ne lui apprennent point la dépravation polie de nos hautes classes ; l’Indien ne la comprendrait pas, et elle serait sans danger pour lui : mais ils lui montrent les hommes civilisés plus violents, plus ennemis de la loi, plus impitoyables, en un mot plus sauvages que lui-même. Cependant ces sauvages d’Europe lui paraissent instruits, riches, puissants. Il se fait alors dans la conscience de l’Indien un trouble incroyable ; il ne sait si les vices qu’il ne comprend que trop bien, et qu’il méprise, ne sont pas les causes premières de cette supériorité qu’il admire, et s’ils ne la produisent pas, du moins ne lui semblent-ils pas un obstacle pour l’acquérir.

Quelque pernicieuse qu’ait été cette action directe des blancs sur le sort des sauvages, leur action indirecte a été plus funeste encore.