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cette opinion condamne sans pitié toutes les passions, et n’autorise que les calculs ; indifférente sur les sentiments, elle n’est exigeante que pour les devoirs.

L’amour, dont le charme fait seul toute la vie de quelques peuples d’Europe, n’est point compris aux États-Unis.

Si quelque âme ardente y ressent le besoin d’aimer et s’y abandonne avec passion, c’est un accident aussi rare que l’apparition d’un roc élevé sur la plage américaine. Malheur à cet être isolé au milieu de tous ! Pas une sympathie qui vienne le trouver ! pas un écho qui lui réponde ! pas une force sur laquelle il puisse se reposer ! En ce pays, on n’estime les choses que suivant leur valeur arithmétique. Comment réduire en dollars les élans de l’âme et les battements du cœur ?

Peut-être aime-t-on en Amérique, mais on n’y fait point l’amour.

Les femmes, de nature si tendre, prennent l’empreinte de ce monde positif et raisonneur…

… Vous le voyez, les femmes américaines méritent l’estime, et non l’enthousiasme ; elles peuvent convenir à une société froide ; mais leur cœur n’est point fait pour les brûlantes passions du désert. »



CHAPITRE III.


LUDOVIC, OU LE DÉPART D’EUROPE.

Ce langage de Ludovic produisit quelque impression sur l’esprit du voyageur. Le séjour de cet homme des villes au sein d’une profonde solitude ; le contraste de ses manières polies avec sa vie sauvage ; son jeune front chargé d’ennuis ; ses discours mêlés de larmes et de sourire, de mystère et de franchise, de sentences graves et d’observations frivoles, de réticences et de longues réflexions ; toutes ces circonstances, après avoir déconcerté les conjectures du voyageur et piqué sa curiosité, commençaient à faire naître son intérêt. Cepen-