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Pour toute fille qui a plus de seize ans, un mariage est le grand intérêt de la vie. En France, elle le désire ; en Amérique, elle le cherche. Comme elle est de bonne heure maîtresse d’elle-même et de sa conduite, c’est elle qui fixe son choix *. On sent combien est délicate et périlleuse la tâche de la jeune fille, dépositaire de sa destinée ; il faut qu’elle ait pour elle-même la prévoyance que chez nous un père et une mère ont pour leur fille : en général, on doit le dire, elle remplit sa mission avec beaucoup de sagesse. Au sein de cette société toute positive, où chacun exerce une industrie, les Américaines ont aussi la leur : c’est de trouver un mari. Aux États-Unis, les hommes sont froids et enchaînés à leurs affaires ; il faut qu’on aille à eux, ou qu’un charme puissant les attire. Ne soyons donc pas surpris si la jeune fille qui vit au milieu d’eux est prodigue de sourires étudiés et de tendres regards ; sa coquetterie est d’ailleurs éclairée et prudente ; elle a mesuré l’espace dans lequel elle peut se jouer ; elle sait la limite qu’elle ne doit point franchir. Si ses artifices méritent qu’on les censure, le but qu’elle poursuit est du moins irréprochable ; car elle ne veut que se marier.

Les occasions ne manquent point aux jeunes gens et aux jeunes filles qui ont à se révéler un sentiment tendre et un mutuel penchant. Celles-ci ont coutume de sortir seules, et les premiers, en les accompagnant, ne blessent aucune convenance : la seule forme qu’ils doivent observer, c’est de marcher séparément ; car, pour donner le bras à une jeune personne, il faut lui être fiancé. On voit régner dans les salons la même liberté. Il est rare que la mère se mêle à la conversation qu’entretient sa fille ; celle-ci reçoit chez elle qui lui plaît, donne seule ses audiences, et y admet quelquefois des jeunes gens qu’elle a rencontrés dans le monde, et que ne connaissent pas ses parents. En agissant ainsi, elle ne fait point mal ; car ce sont les mœurs du pays.

La coquetterie américaine est d’une nature toute spéciale ; en France, une fille coquette est moins désireuse de se marier que de plaire ; en Amérique, elle n’est impatiente de plaire que pour se marier. Chez nous, la coquetterie est une passion ; en Amérique, un calcul. Si la jeune personne engagée continue à se montrer coquette, c’est moins par goût que par