Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de votre domaine ? dit-il à Ludovic. — Oui, répondit celui-ci. — J’en admire le bon goût, reprit le voyageur, et je serais charmé de la voir… — Non ! non ! répliqua vivement le solitaire… jamais ! jamais !… — Est-ce que quelqu’un l’habite ? — Ludovic resta d’abord silencieux… — Oui, répondit-il enfin d’une voix triste et mystérieuse… Et il entraîna le voyageur du côté opposé.

Chemin faisant, les deux Français étaient revenus au sujet principal de leur entretien, l’Amérique. Le voyageur avait repris le cours de ses admirations, que le solitaire combattait par des réflexions sages, quelquefois même par de piquantes railleries… Ils passèrent ainsi en revue tous les objets qui, dans la société américaine, attirent les regards de l’étranger.

— Oh ! arrêtons-nous ici quelques instants, s’écria le voyageur quand ils se trouvèrent sur le bord du lac. Quel air embaumé ! quelle douce fraîcheur ! quelles impressions pures ! Comme le ciel est beau sur nos têtes ! et comme, en face de nous, la forêt forme à l’horizon un charmant rideau de verdure ! Combien ce paysage est encore embelli par le toit de votre chaumière, qui retrace aux yeux l’image du modeste asile d’une tranquille félicité ! Qui demeurerait insensible à ce tableau ? Eh bien ! dites ; parlez sans prévention… que manquerait-il au bonheur dans cette retraite solitaire, si l’amour d’une jeune Américaine y venait répandre ses charmes et ses enchantements ?

Tout en parlant ainsi, le voyageur s’était assis sur un banc de verdure ; Ludovic, plein d’émotions bien différentes, avait pris place auprès de lui…

S’abandonnant à cette impression poétique : — En Europe, dit le voyageur, tout est souillure et corruption !… Les femmes y sont assez viles pour se vendre, et les hommes assez stupides pour les acheter. Quand une jeune fille prend un mari, ce n’est pas une âme tendre qu’elle cherche pour unir à la sienne, ce n’est pas un appui qu’elle invoque pour soutenir sa faiblesse ; elle épouse des diamants, un rang, la liberté : non qu’elle soit sans cœur ; une fois elle aima, mais celui qu’elle préférait n’était pas assez riche. On l’a marchandée ; on ne tenait plus qu’à une voiture, et le marché a manqué. Alors on a dit à la jeune fille que l’amour était folie ; elle l’a