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Ainsi parla Ludovic ; plus d’une fois, pendant ce récit, le voyageur avait senti couler ses larmes. — Oh ! combien votre malheur me touche ! dit-il au solitaire ; quoi ! depuis tant d’années, vous vivez seul dans ce désert ! — Je n’y suis pas resté toujours, répliqua Ludovic ; j’ai tenté de l’abandonner, mais vainement !… il m’a fallu bientôt y revenir.

D’abord l’abondance de mes larmes et la violence de ma douleur me firent penser que ma vie serait promptement consumée, mais cette dernière espérance m’échappa, et je n’avais plus de force pour répandre des pleurs qu’il m’en restait encore pour exister ; je traînai alors dans ces lieux une vie misérable : j’étais accablé de la durée du temps dont rien pour moi ne hâtait le cours ; j’errais à l’aventure dans les forêts environnantes ; je cherchais de nouveaux lacs, des prairies vierges, des fleuves inconnus ; je chassais des animaux sauvages qui me servaient de pâture ; quelquefois, au milieu de mes excursions aventureuses, je m’arrêtais subitement ; appuyé au tronc d’un arbre, je méditais durant de longues heures ; tous les tristes souvenirs arrivaient dans la solitude. Cette rêverie de l’infortune finissait par troubler ma raison, et je tombais dans un profond accablement. Quand mon intelligence assoupie se réveillait, il me semblait, en me rappelant mes malheurs, que ma vie tout entière était un songe terrible ;… mais bientôt je me retrouvais en présence de l’affreuse réalité. Cent fois, chaque jour, je quittais ma chaumière, cent fois j’y revenais avec mes chagrins, mes ennuis et le poids accablant de mon isolement.