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légitime… Il est vrai que les Américains persécutent sans pitié une race malheureuse. Oui, le préjugé qui voue à l’esclavage ou à l’infamie trois millions d’hommes est indigne d’un peuple libre et éclairé. Mais faut-il prendre occasion de ces désordres pour envoyer au Ciel des imprécations ? Mon ami, l’iniquité des hommes suffirait seule pour me faire croire à la justice de Dieu.

« Les passions qui vous ont irrité contre l’état social ont en même temps fasciné vos yeux, en vous montrant dans la vie sauvage un état perfectionné.

« J’ai vécu long-temps parmi les Indiens ; j’ignore quels étaient leurs pères ; mais, déchus de leur état primitif qui, peut-être, avait quelque grandeur, les Indiens de nos jours ne possèdent ni les avantages de la vie sauvage, ni les bienfaits de la vie civilisée.

« Préservez-vous de cette fausse opinion que la valeur individuelle de chaque homme est mieux appréciée chez les sauvages que dans les pays policés.

« Si les peuples avancés dans la civilisation font une trop grande part d’influence à la richesse, les peuples sauvages accordent trop d’importance à la force physique.

« Sauf quelques exceptions rares dont s’emparent beaucoup d’esprits médiocres, toutes les sociétés d’Europe et d’Amérique sont gouvernées par les supériorités intellectuelles. Dans l’opinion des hommes civilisés, un corps robuste est peu de chose, s’il ne contient un grand cœur ; chez l’Indien, au contraire, la force morale n’est puissante que par son union à celle des muscles, et la plus grande âme dans un faible corps n’est rien.

« La vie sauvage est d’ailleurs une vie d’égoïsme… Dans ces forêts où la nature est si belle, on étouffe ses cris les plus touchants… Vainement l’infirme, le mutilé, celui dont la raison s’est égarée, réclament le secours de leurs semblables. Ceux-ci méprisent la voix d’infortunés qui, n’ayant plus la force du corps, ne méritent pas d’exister.

« Dans les pays civilisés on ne secourt pas toutes les infortunes, mais toutes espèrent d’être secourues… et combien de plaies sont fermées par la charité publique ! Combien