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doute il aperçut mon trouble, et devina mon désespoir jusqu’au fond de mon cœur, car il me dit avec bonté, : « Mon ami, je suis bien loin de la ville ; veuillez me donner l’hospitalité pour aujourd’hui. » Il ajouta d’une voix basse, et comme s’il se fût parlé à lui-même : « Je ne quitterai point ce lieu, car il y a ici des passions… » En prononçant ces mots, il tomba à genoux et pria Dieu.

Cependant Ovasco, qui ne savait point que le terme de mes maux était fixé, se mit, pour distraire ma douleur, à me raconter les circonstances de son voyage. Arrivé à Détroit, il s’était présenté chez le seul médecin de cette ville ; mais, lorsque celui-ci sut dans quelle contrée lointaine ses secours étaient demandés, il marchanda ses services, et les mit à un prix si élevé, en exigeant une caution préalable, qu’Ovasco ne put le satisfaire.

Il existait alors à Détroit un prêtre catholique du nom de Richard ; c’était un Français banni en 1793, à l’époque où, pour sauver la civilisation, on proscrivait la religion et la vertu ; arrivé jeune aux États Unis, il avait vieilli sur la terre d’exil ; tout le monde vantait sa sagesse, sa grande science, sa charité. Les sentiments d’estime et de vénération qu’il inspirait étaient universels ; et la population du Michigan, dont les trois quarts sont protestants, l’avait nommé, quelques années auparavant, son représentant au congrès. *

[Note de l’auteur. * Réf. ]

Guidé chez lui par la voix publique, Ovasco se présente, invoque son appui comme on demande secours à une puissance supérieure… Le bon vieillard secoue sa tête chargée d’années, et dit : « Les infortunés ! ils sont bien loin ! allons vite à leur secours !… Je sais, ajouta-t-il, un peu de médecine… on me consulte souvent dans ce pays sauvage où les secrets de l’art sont presque inconnus… et puis, quand je ne sais point guérir le corps, je m’attache aux plaies de l’âme. »

À ce récit d’Ovasco je sentis quelque émotion pénétrer dans mon cœur… et je ne pus songer sans remords à l’indifférence que j’avais témoignée au bon vieillard.

« Pardonnez-moi, m’écriai-je en m’avançant vers lui, je suis bien malheureux !… » et je me précipitai dans ses bras ; j’éprouvai un frémissement de respect et d’admiration en touchant ces cheveux blancs que le désert rendait encore plus