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Nelson entra suivi du Canadien dont nous occupions la demeure, et qui, le jour de notre arrivée, était parti pour le fort Gratiot. Le vaisseau qui portait Nelson et les Cherokis, n’ayant pu franchir le rapide qui se trouve en face du fort, avait fait halte, et, comme la violence du courant était accidentellement accrue par la fonte des neiges, on avait résolu d’attendre pendant quelques jours un moment plus favorable. Le lieu où débarquèrent les Indiens était précisément celui où se rendait le Canadien de Saginaw. Celui-ci, ayant rencontré Nelson, l’informa de mon arrivée à Saginaw avec Marie. Instruit de l’embarras où nous étions, Nelson supplia le Canadien de le ramener près de nous ; et, soit que la présence des Indiens réunis aux environs du fort Gratiot eût fait manquer la chasse du ramier, soit que les prières de Nelson eussent touché l’âme du chasseur, celui-ci consentit au retour ; et, après cinq jours et cinq nuits de marche non interrompue à travers la forêt et les prairies, ils arrivèrent pour être les témoins de la dernière et déplorable scène d’une affreuse catastrophe.

D’abord je rendis grâce à Dieu qui envoyait un appui à ma défaillance… mais bientôt je compris que, pour consoler le malheur, ce n’est pas assez d’avoir le même sujet de peine, mais qu’il faut encore sentir de même la douleur.

Nelson fut frappé d’un coup terrible en voyant l’énormité de notre infortune ; mais son stoïcisme l’emporta sur sa misère. Je ne croyais pas que la raison fût jamais si puissante sur le cœur, et qu’il pût se trouver tant de froideur dans un chagrin réel… quelques larmes coulèrent de ses yeux… bientôt il me fallut pleurer seul…

Je n’ai point d’expression pour vous dire les scènes de deuil et de désolation dont ce désert fut le théâtre, lorsque le moment fut venu de rendre à la terre la dépouille mortelle de mon amie.

Vous voyez cette cabane peu éloignée de celle où je vous ai reçu… l’autre jour vous alliez en franchir le seuil, lorsque j’ai retenu vos pas… vous en admiriez la construction élégante et les proportions gracieuses, et vous me disiez que là on pourrait vivre heureux avec un objet aimé ; oh ! je croyais aussi à ce bonheur ! c’était la demeure préparée avec tant de