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mais je ne retrouvai la raison qui m’avait fui que pour comprendre toute l’horreur de la situation et l’excès de ma misère.

Les illusions de l’infortune, qui abusent de l’espérance, m’avaient toujours voilé la véritable position de Marie. Elle-même s’était plu constamment à me tromper sur son état. Quand je lui parlais de notre bonheur à venir, elle versait des pleurs que je croyais sortis d’une source de joie. Si je l’entretenais de ses souffrances, elle était prompte à changer le sujet de notre conversation ; oublieuse de ses maux, elle usait toutes ses forces à distraire ma peine, et, tandis qu’elle se consumait dans de cruelles douleurs, c’était elle encore qui me donnait des consolations.

Quelle fut ma stupeur, lorsque, arrêtant mes regards sur cette main chérie que je pressais dans un transport de désespoir et d’amour, je la vis desséchée par une affreuse maigreur.

La lumière qui m’apparut fut celle de l’éclair qui brille du même feu que la foudre qui tue. Le corps de mon amie était tout entier dévoré par le mal… sa figure seule n’avait point subi les mêmes ravages, et conservait, malgré son altération, tous les signes d’une force à peine ébranlée ; soit que l’énergie de son âme se peignit toute dans son regard, soit que l’irritation de la fièvre fit refluer vers le visage le peu de sang et de vigueur qui restaient dans ce faible corps.

Ainsi s’offrait sans voile à mes regards la triste réalité. Tel était donc l’effet de ces longs jours passés sous un soleil brûlant ; de ces nuits plus longues encore, écoulées parmi les douleurs, sans sommeil, sans repos, sans abri, et dans les angoisses toujours croissantes d’une veille qui ne finissait point ! !

Cependant, témoin de cette scène, Ovasco me dit : « Mon bon maître, vous ne pouvez quitter ce lieu ; laissez-moi partir pour Détroit ; j’en reviendrai bientôt avec l’homme dont le secours nous est nécessaire. »

Comme il me voyait hésitant à accepter cette offre de son dévouement, que son état de maladie rendait imprudente : « Oh ! ajouta-t-il, je me sens mieux ; l’idée de sauver ma chère maîtresse me rend toutes mes forces. — Fidèle