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accroître le nombre et la malignité, notre petite cabane devint le théâtre d’une misère dont je ne pourrais vous tracer le tableau… Je faisais de vains efforts pour éloigner de Marie les innombrables ennemis qui bruissaient autour d’elle ; ils étaient plus prompts à renaître que moi à les anéantir ; et je voyais le beau front de mon amie tout saignant de la morsure de ces vils insectes… je passais ainsi les jours et les nuits veillant auprès de ma bien-aimée, et m’efforçant de soulager par mes soins ses ennuis et sa douleur.

Pendant ce temps, Ovasco travaillait sans relâche à la cabane, qui était près de s’achever. Pour comble de malheur, il fut lui-même attaqué de la fièvre du pays, et alors je me trouvai seul, sans appui, entouré de maux qu’il me fallait contempler sans cesse, et que je ne pouvais adoucir.

L’idée d’une affreuse catastrophe avait été long-temps sans pouvoir pénétrer dans mon âme. Chose étrange ! lorsqu’on possède un bien plus cher que la vie, et qu’on en jouit tranquillement, on est prompt à concevoir des craintes chimériques, et, si un grand péril de le perdre se présente, on fait autant d’efforts pour ne pas voir le danger réel, qu’on en faisait auparavant pour apercevoir des dangers imaginaires. Tel est l’ordre et la justice du ciel. L’heureux est troublé dans sa joie par la terreur de l’infortune, et le pauvre, consolé dans sa misère par des illusions de félicité !

Cependant les paroles de Marie, dont le souvenir revenait à ma mémoire, l’aspect des souffrances qu’elle endurait sous mes yeux, et peut-être aussi l’opiniâtreté du sort à contrarier tous mes desseins, jetèrent le trouble dans mon âme… Une lueur fatale m’apparut… et tout mon corps se couvrit d’une sueur glacée… Je fis un effort pour rappeler à moi ma raison, que je sentais s’égarer, et je dis à Marie :

« Ma bien-aimée, dans quelques jours notre nouvelle demeure sera prête a te recevoir… alors la présence de Nelson manquera seule à notre bonheur… S’il s’était avancé sans guide dans ces contrées désertes, nous devrions concevoir de grandes inquiétudes : mais que pouvons-nous craindre, le sachant entouré d’Indiens qui l’aiment, le révèrent, et pour lesquels le plus beau pays est aussi le plus sauvage ? Espérons qu’il sera bientôt rendu à nos vœux…