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avec tendresse, pardonne-moi,… je t’ai affligé… j’ai cru, pendant toute cette journée, qu’un destin funeste s’opposait à notre arrivée dans ces lieux… j’avais tort ; car tu es mon bon ange, et tu me guidais… Oh ! je sentais mon corps défaillir et mon âme se briser… mais je ne souffre plus et je n’ai que des pensées de bonheur… »

Ces paroles versaient la joie dans mon cœur, et j’aspirais au rivage comme au terme de toutes nos douleurs.

« Vois, me disait Marie, en me montrant notre futur empire, vois comme nous serons dans cette contrée lointaine… Oui, les eaux de la Saginaw sont encore plus pures, plus paisibles, que celles de la rivière des Sables ; l’air est ici plus doux ; cette terre est plus embaumée ; et voilà que l’astre des nuits, notre bon génie du désert, se lève et brille de tout son éclat… »

Et disant ainsi, Marie portait ses regards vers le ciel. « Dieu ! » s’écria-t-elle tout-à-coup d’une voix effrayée, et ses yeux, redescendus à terre, se cachèrent entre ses deux mains.

En ce moment, le disque rouge et enflammé de la lune sortait des ombres de la forêt et semblait en montant, s’appuyer sur la cime des arbres… On le voyait s’élever et grandir… il s’avançait sur nous semblable à un spectre de sang…

Cette image terrible avait frappé l’esprit de Marie, et le cri d’effroi qu’elle s’efforça vainement de contenir fut encore la voix d’un sinistre pressentiment.

En arrivant au but tant désiré, Marie avait senti renaître en elle une énergie surnaturelle qui ne fut point de longue durée. Je ne sais si sa force s’affaiblit en même temps que sa foi dans l’avenir ; mais je la vis presque aussitôt tomber dans un grand abattement.

Je me trouvai alors livré à des embarras que l’imagination ne saurait concevoir.

Nelson n’était point à Saginaw. Le bateau qui le portait, lui et les Cherokis, n’avait pas encore paru, et des Indiens Ottawas, naturels du pays, m’assurèrent qu’aucun étranger n’avait, depuis un temps très-long, abordé dans cette contrée.

Ce contre-temps fut pour Marie et pour moi une source de chagrins et d’inquiétude ; il rendit aussi plus difficile