Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

courant qui nous entraîne si doucement ? comme on respire bien ici ! comme il est pur l’air que n’a point souillé le souffle des méchants ! Oh ! faut-il sitôt quitter ces lieux ? où trouver plus de calme, plus d’émotions douces, plus de bonheur tranquille !… » Et la charmante fille se penchait vers moi, retenait mon bras et me disait encore : « Qu’il serait doux, nous abandonnant au cours de cette rêverie presque céleste, et suivant avec foi les eaux de ce fleuve qui nous bercent si mollement ; qu’il serait doux, mon ami, de mourir ensemble dans une extase du cœur, et de monter au ciel par un élan de nos joies vers Dieu ! Nous ne ferions que changer de patrie… Le bonheur des anges peut-il surpasser celui que nous éprouvons ? mais jouirons-nous encore ici bas d’une pareille félicités ? »

Je la guidais vers le rivage, et je lui disais : « Marie, je ne sais si tu es une créature de la terre ; car ta voix, ton langage, toute ta personne, sont pleins d’un charme divin… Quand je vois couler tes larmes, je te prends pour l’ange de la mélancolie aspirant à remonter au ciel où l’innocence ne pleure plus ; mais quand ta voix m’enchante et module des sons de bonheur, je ne sais plus que penser de l’être surhumain qui a connu les félicités célestes, et ne méprise pas les joies de la terre… Ma bien-aimée, aie foi dans mon amour ; un air plus doux et plus pur, une contrée plus riante encore, une nature encore plus belle, nous attendent au-delà ; nous serons mieux qu’ici ; car nous serons encore plus loin du monde que nous haïssons… Vois comme le bonheur se révèle à nous par degrés à mesure que nous fuyons davantage… »

Sur quel rivage nous eût trouvés l’aurore du lendemain, si, cédant à la voix de Marie, et au sommeil qui s’emparait de toute la nature, j’eusse livré notre barque aux hasards du courant ? Je ne sais. L’asile que choisit notre raison vaut-il celui que nous désignent les caprices du vent, les détours de l’onde, les ombres de la nuit ? *

[Note de l’auteur. * Réf. ]

Notre abri durant la nuit fut une petite cabane en bois, habitée par un Américain de la Nouvelle-Angleterre, qui s’est établi près des Indiens pour faire avec eux le commerce des pelleteries.