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solitaire toutes nos passions se déchaînent ardentes et impétueuses ! !

Je redoutais pour Marie les fatigues de la route : mais elle combattait mes inquiétudes avec des paroles pleines d’un charme inexprimable.

« — Mon ami, me disait-elle, je me sens forte, car je marche vers un bonheur inespéré… » Elle me disait encore : — « Cette retraite solitaire vers laquelle nous allons était l’objet de mes plus ardents désirs, et le dernier terme de mon ambition ; mais toi, Ludovic, n’as-tu point de regrets ? »

Et moi je lui répondais : — « Ma bien-aimée, pendant long-temps je n’ai pas su pourquoi j’existais, et j’ai souvent reproché à Dieu les jours inutiles qu’il m’imposait ; ton amour seul m’a révélé le secret de la vie.

« Dans mon plus vif enthousiasme pour la gloire, j’étais incertain si je ne poursuivais pas une chimère… La gloire ! ! c’est la grandeur d’un homme avouée par ses semblables… Mais cet aveu, qui le fait ? — la postérité seule.

« La gloire, c’est le soleil de l’âme ; il ne brille qu’après le néant du corps… sa divine lumière ne réjouit que des ombres…

« Mon amie, l’amour ne nous trompe point ainsi : ta douce voix qui m’enchante n’est point un mensonge ; ton regard qui m’enivre de volupté n’est point une illusion ; ta main enlacée dans la mienne n’est point une chimère. O Marie ! l’amour aussi trompe nos cœurs, mais c’est pour leur donner une félicité si grande qu’ils ne sauraient la contenir. »

Tels étaient nos entretiens sous les sombres portiques de la verdure, lorsque nos yeux sont frappés subitement d’une vive clarté ; à mesure que nous avançons, le jour augmente, jusqu’à ce qu’enfin l’ombre disparaît avec le dernier arbre de la forêt… Nous nous trouvons en face d’une vaste prairie où la nature la plus variée, la plus riche et la plus gracieuse resplendit à nos yeux dans un torrent de lumière.

Ici l’Indien nous avertit par signes que c’était un lieu de halte. Nous avions devancé son avis. Saisis d’admiration à l’aspect de cette scène nouvelle, nous nous étions arrêtés,