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n’est pas permis de haïr l’esclavage ? Les nègres de New-York ne demandent pas la liberté pour eux, tous sont libres ; ils invoquent la pitié américaine pour leurs frères esclaves… et leur prière, celle de leurs amis, sont des crimes pour lesquels on demande grâce !…

Cependant il restait encore dans la ville un peu de cette agitation superficielle qui a coutume de succéder aux crises de la guerre civile. On voyait le père chercher les enfants ; la sœur, le frère ; l’épouse, le mari. On s’abordait en se questionnant et en se faisant mutuellement des récits exagérés : à l’aspect des édifices ruinés et des cendres encore fumantes, on s’arrêtait pour contempler l’œuvre populaire, comme on regarde, après l’ouragan, les chênes déracinés et les moissons flétries. Les héros du jour et les braves se reposaient et rentraient chez eux ; les poltrons et les intrigants entraient en scène.

Tout le monde, après l’événement, condamnait les insurgés, et leurs excès. La plupart, en déplorant la misère des noirs, en éprouvaient une secrète joie. Je vis pourtant quelques bons citoyens, amis sincères de leur pays, verser des larmes au souvenir de cette fatale journée ; ils voyaient dans cet acte de tyrannie, exercé par le plus grand nombre sur une minorité faible, l’abus le plus odieux de la force, et se demandaient si une population, dont les passions haineuses étaient plus fortes que les lois, pouvait long-temps demeurer libre.

À l’heure même où la sédition était apaisée, ou nous apprit qu’il s’en préparait pour le lendemain une nouvelle, dont les symptômes étaient terribles.

Un seul moyen pouvait arrêter l’insurrection dès son principe : il eût fallu ordonner à la milice de faire feu sur le peuple ; mais cet ordre ne pouvait émaner que du maire de la cité. Les plus sages lui conseillaient cette mesure ; mais, magistrat né du peuple, il n’osait frapper son père. Vainement on lui disait que les insurgés étaient de la populace, et non le peuple. Dans les discordes civiles, il vient un moment où il est bien malaisé de distinguer l’un de l’autre. Le maire écouta l’avis des plus modérés, qui voulaient qu’on montrât seulement les baïonnettes à la multitude. Cet appareil de miliciens