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nous unir tombe de ses mains ! Marie, glacée d’effroi, perd ses sens, chancelle, et je prête à la jeune fille défaillante l’appui du bras qui, un instant plus tard, eût soutenu mon épouse bien-aimée.

Quelques nègres intrépides s’étaient élancés vers les issues de l’église pour les défendre contre l’invasion ; mais bientôt mille projectiles tombent avec fracas sur l’édifice sacré… on entend les portes gémir sur leurs gonds… les assaillants s’encouragent mutuellement à la violence ; chacun de leurs succès est salué par des applaudissements tumultueux ; les coups redoublent, les murailles s’ébranlent, le sol a tremblé. Déjà le peuple, ce prodigieux ouvrier de destruction, a fait irruption dans le parvis ; alors l’église présente une scène affreuse de désordre et de confusion : les enfants jettent des cris perçants ; les femmes poussent des plaintes douloureuses. À l’idée d’un massacre populaire, l’horreur pénètre dans toutes les âmes ; car la populace est la même dans tous pays, stupide, aveugle et cruelle. Des hommes, ou plutôt des monstres, sans respect pour la sainteté du lieu, sans pitié pour l’infirmité du sexe et de l’âge, se précipitent sur la pieuse assemblée, et se livrent aux actes de la plus brutale violence, sans épargner les femmes, les vieillards et les enfants.

Mon angoisse était extrême. Confondu par ce spectacle de vandalisme et d’impiété, Nelson était partagé entre sa sollicitude paternelle et son orgueil national. « O mon Dieu ! s’écriait-il ; ô profanation ! ô honte pour mon pays ! »

Le péril était imminent et terrible ; je dis à Nelson : « De grâce, laissez à mon amour le soin de protéger Marie » et en parlant ainsi, je la saisis dans mes bras. Oh ! avec quelle énergie je m’emparai de ma bien-aimée ! comme je me sentis fort en la portant sur mon cœur ! mais à peine étais-je chargé d’un si précieux fardeau, que j’entends plusieurs voix crier : « John Mulon ! John Mulon ! mort au catholique qui marie les femmes de couleur avec les blancs ! » Et en même temps je vis tous les regards se porter sur nous ; je compris que nous étions trahis, et que d’affreux dangers nous menaçaient. Comment sauver Marie ? comment traverser les rangs de nos ennemis, au milieu de tant de passions déchaînées ?