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pour nous dire de douces paroles. Hélas ! le lendemain il manquait a nos embrassements ; il avait quitté Baltimore laissant une lettre dans laquelle il nous conjurait de lui pardonner son départ clandestin.

« Jamais, disait-il, je n’aurais pu résister à l’ascendant d’un père, aux larmes d’une sœur ; un seul regard de Marie, m’aurait vaincu. Cependant mon devoir me commande de secourir des frères malheureux… Mon père, ma chère sœur, ajoutait-il, nous nous reverrons dans des temps plus fortunés… Si les hommes ne sont pas égaux sur la terre, ils le sont du moins dans le ciel.

« Je ne vous dirai point quelle fut la douleur de Marie en entendant ces dernières paroles d’un frère qu’elle chérit.

« Georges, dans sa lettre, nous engageait à suivre mon premier projet, celui de demander l’hospitalité à James Williams, auquel, disait-il, il s’adresserait plus tard pour retrouver nos traces. »

Ainsi parla Nelson ; sa voix, en finissant, s’était faiblement émue. Il dit ensuite avec l’accent d’une résignation pieuse : « Plus le bras qui frappe est puissant, et plus on doit l’adorer… Mon ami, ajouta-t-il, vous pouvez maintenant juger si je vous trompais quand je vous peignais l’horrible condition des gens de couleur aux États-Unis. N’ayant pu dissiper vos illusions, j’imposai à votre amour un temps d’épreuve. Le terme n’en est pas encore expiré, mais sans doute votre opinion l’a devancé, et ce que vous savez de notre fortune doit suffire pour vous éclairer. »

Comme je gardais le silence sous l’impression d’un chagrin profond et de l’inquiétude que m’inspirait le sort de Georges, Marie, prenant mon anxiété pour de l’embarras, me dit d’une voix entrecoupée de pleurs : « Ludovic, mon cœur vous tient compte des efforts généreux que vous faites pour aimer une infortunée ; mais, de grâce, cessez de lutter contre l’inflexible destin. Vous le voyez, nos malheurs s’enchaînent comme nos jours. Mon sort est à jamais fixé : je traînerai de ville en ville ma misérable existence ; chassée d’un lieu par le mépris, de l’autre par la haine, partout réprouvée des hommes, parce que je fus maudite dans le sein de ma mère ! »