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nul ne vit pour penser. Là point de classes privilégiées qui, avec le monopole de la richesse, aient aussi le monopole des loisirs.

XIX.

« Tout le monde travaille !… Mais la vie du travailleur est essentiellement matérielle. Son âme sommeille pendant que son corps est à l’œuvre ; et, lorsque son corps se repose, son esprit ne devient pas actif. Le travail pour lui, c’est la peine ; l’oisiveté, la récompense ; il ne connaît point le loisir. C’est tout une science que d’apprendre à jouir des choses morales. La nature ne nous donne point cette faculté qui naît de l’éducation seule et des habitudes d’une vie libérale. Il ne faut pas croire qu’après avoir amassé de l’argent et de l’or, on puisse se dire tout-à-coup : « Maintenant je vais vivre d’une vie intellectuelle. » Non, l’homme n’est point ainsi fait. Le reptile tient à la terre et l’aigle aux cieux. Les hommes d’esprit pensent, les hommes à argent ne pensent pas.

XX.

« Ce n’est pas qu’aux États-Unis on manque d’auteurs ; mais les auteurs n’ont point de public.

« On trouverait encore des écrivains pour faire des livres, parce que c’est un travail que d’écrire : ce sont les lecteurs qui manquent, parce que lire est un loisir.

« Le public réagit sur l’auteur, et vous ne verrez point celui-ci s’obstiner à produire des œuvres littéraires, quand le public n’en veut pas.

XXI.

« Supposez un poète inspiré, que le hasard fait naître au sein de cette société d’hommes d’affaires : pensez-vous que son génie fournisse sa carrière ? Non, le génie lui-même subit l’influence de l’atmosphère qui l’environne. Nul n’exprime bien l’enthousiasme devant des êtres qui ne le sentent point ; on ne chante pas long-temps pour des sourds… La verve du