Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/124

Cette page n’a pas encore été corrigée

personnes de couleur ; et l’injustice révoltante des Américains envers une race malheureuse m’avait, j’en conviens, inspiré contre eux une prévention générale.

Mais lorsque mon imagination eut conçu des projets de gloire ; lorsque, voulant rendre à Marie son rang et sa dignité, j’avais compris qu’il fallait d’abord me mêler aux hommes et aux choses de ce pays, je cessai d’envisager la société américaine sous un seul point de vue, et bientôt l’illusion d’une espérance nouvelle faisant changer la face du prisme à mes yeux, j’aperçus partout chez les Américains des vertus au lieu de vices, et à la place des ombres d’éclatantes lumières.

Quoique cette impression au été passagère, elle ne s’est pas entièrement effacée… et si le caractère américain n’éblouit plus mes regards, il s’offre encore à mes yeux environné de quelques douces clartés.

Combien j’admirais en Amérique la sociabilité de ses habitants ! * L’absence de classes et de rangs fait qu’il n’existe dans ce pays ni fierté aristocratique, ni insolence populaire…

[Note de l’auteur. * Réf. ]

Là, tous les hommes, égaux entre eux, sont toujours prêts à se rendre mutuellement service, sans que le bienfaiteur s’enquière à l’avance du rang et de la fortune de son obligé.

Rien n’est plus favorable à la sociabilité que les conditions médiocres. Ni le pauvre, ni le riche, ne sont sociables : le premier, parce qu’il a besoin de tout le monde, sans pouvoir rendre aucun service ; le second, parce qu’il n’a besoin de personne : comme il paye tous les services, il n’en rend point.

Dans tous les pays où les rangs sont marqués, l’aristocratie et la dernière classe du peuple luttent perpétuellement ensemble : l’une, armée de son luxe et de ses mépris ; l’autre, de sa misère et de ses haines ; toutes les deux, de leur orgueil. L’inférieur, qui tente vainement de s’élever, jette l’insulte au but qu’il ne peut atteindre ; il a toute l’injustice de l’opprimé, toute la violence du faible. L’homme des hautes classes tombe dans le même excès poussé par une autre cause. Quand il traite ses inférieurs comme des égaux, ceux-ci croient qu’il a peur d’eux : il est forcé d’être fier, sous peine de passer pour poltron. Ces luttes sont encore, plus amères