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m’avait fait penser qu’il y avait aussi de la poésie dans le cœur des hommes !… Je fus bientôt désenchanté.

Ici Ludovic s’arrêta comme s’il eût épuisé son récit, mais ses dernières paroles avaient vivement excité la curiosité du voyageur qui lui dit ces mots :

— Je m’indignais avec vous du préjugé fatal dont vous fûtes la victime… car toutes mes sympathies sont, comme les vôtres, pour une race infortunée, et lorsque je vous ai vu prêt à tenter la réhabilitation des noirs en Amérique par l’influence de la raison et du génie, j’applaudissais du fond de mon cœur à cette noble entreprise… comment donc avez-vous pu déserter si vite un si beau projet ?

— Vous ne pouvez, lui répondit Ludovic, comprendre l’obstacle qui m’a brusquement arrêté dans ma course ; il me fallait, pour atteindre le but, m’appuyer sur la poésie, sur les beaux-arts, sur l’imagination et l’enthousiasme ; comme si les beaux-arts, la poésie, les choses morales étaient puissantes sur un peuple positif, commercial, industriel !

— Mais, ce peuple, répliqua le voyageur, n’est pas seulement le berceau de Fulton ; son génie littéraire ne peut-il pas s’enorgueillir d’avoir enfanté Franklin, Irving, Cooper ?

— Non, dit vivement Ludovic… Vous ne comprenez rien à ce pays… il faudra que je dessille vos yeux.

Comme le solitaire prononçait ces paroles, son oreille et celle du voyageur furent frappées d’accents douloureux qui retentissaient au-dessus de leurs têtes ; en portant leurs regards vers le sommet de la roche, au pied de laquelle ils étaient assis, ils y aperçurent plusieurs femmes indiennes qui, réunies en cercle, faisaient les préparatifs d’une cérémonie funéraire ; l’attention du voyageur fut vivement excitée ; il se leva. Le récit de Ludovic fut interrompu, et tous les deux se dirigèrent en silence vers le lieu de la scène.

Les pleurs, les gémissements de ces femmes, et le devoir pieux qu’elles remplissaient, avaient pour objet le souvenir d’une triste catastrophe récemment arrivée dans cette solitude, et dont les circonstances sont propres à faire naître la pitié.

Non loin de la chaumière habitée par Ludovic, vivait Mantéo, chasseur indien, de la tribu des Ottawas, il s’était marié,