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débiteur pour la moindre somme d’argent * et le créancier est toujours cru sur parole.

[Note de l’auteur. * Réf. ]

Un jour, je promenais dans New-York mes tristes méditations, lorsque des cris lamentables, poussés à peu de distance de moi, éveillèrent mon attention. C’était un pauvre nègre qu’on menait en prison ; une femme noire le suivait tout en pleurs avec ses enfants. Emu de compassion, je m’approchai de la négresse, et lui demandai la cause de ses larmes. Elle laissa tomber sur moi un regard douloureux et dur, comme si elle eût jugé que ma question n’était qu’une moquerie et une lâche dérision de sa misère ; un nègre, aux États-Unis, ne croit point à la pitié des blancs ; cependant je renouvelai ma question d’un ton de voix qui trahissait une émotion profonde. Alors la pauvre femme me dit que son mari était traîné en prison pour n’avoir pas payé le prix de quelques livres de pain. « Aucun marchand, ajouta-t-elle, n’a voulu nous faire le moindre crédit, et nous n’avons trouvé personne qui nous prêtât une obole ! »

L’impitoyable créancier qui, pour un frivole intérêt, faisait tant de malheureux, avait, il est vrai, pour lui le texte d’une loi, et cette loi est aussi bien applicable aux Américains qu’aux gens de couleur. Mais, si la règle est uniforme, son exécution n’est point la même pour tous ; et il existe en faveur des blancs une pitié publique qui tempère la rigueur des lois les plus cruelles.

Jugez enfin, par un seul exemple, du rang qu’occupent les nègres dans l’opinion publique : les prostituées elles-mêmes les repoussent ; elles croiraient, en acceptant les caresses d’un noir, dégrader la dignité de la race blanche ! Il y a une infamie que ces infâmes ne se permettent pas : c’est celle d’aimer un homme de couleur.

Et ne croyez pas que, dans les États libres du Nord, l’origine des gens de couleur devenus blancs par le mélange des races, soit oubliée et perdue de vue.

La tradition y est aussi sévère que dans le Sud. Vainement, pour déconcerter ses ennemis, l’homme de couleur, à figure blanche, quittera le pays où le vice de son sang est connu pour aller dans un autre État chercher, au sein d’une société nouvelle, une nouvelle existence : le mystère de son émigration est bientôt découvert. L’opinion publique, si indulgente