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mieux de la dépayser pendant quelques années, pour cacher l’état misérable dans lequel elle avait passé son enfance.

Ce prétexte était pitoyable, et confirma les soupçons d’Armire ; c’est-à-dire, qu’il l’instruisit de l’amour d’Alindor. Malgré cet amour, il voulait l’éloigner du château : ce désir pouvait avoir deux motifs différens ; et il importait à cette dame de les pénétrer ; celui d’un cœur vertueux qui craint le danger et l’éloigne, et celui d’un amant qui tremble d’exposer ce qu’il aime, et qui veut cacher son secret à des yeux intéressés à le découvrir. Dans le premier cas, son époux ne méritait que sa compassion, et elle devait payer ce généreux sacrifice qu’il lui faisait en répandant ses bienfaits sur sa rivale. Dans le second, il était digne de tout son mépris, ainsi que sa complice. Armire, accoutumée à commander à ses mouvemens, fut assez maîtresse d’elle-même pour renfermer ses soupçons, et se procurer par-là le moyen de les éclaircir.