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clarer à personne. Je suis marchand ; et, outre le gain que me procure mon commerce, je possède un revenu honnête. Je me porte bien, Dieu merci : j’ai une femme et trois enfans que j’aime, et dont je suis aimé. Il semblerait, après cela, que je devrais être heureux : point du tout. L’incertitude des évènemens de la vie, se présente à chaque moment à mon imagination. Je ne puis gagner sur moi de jouir du présent que je laisse échapper, pendant que je me livre à la craint de ce qui peut m’arriver de fâcheux à l’avenir. Chaque jour me paraît être la veille de celui où je dois perdre ma femme, mes enfans, mes biens, ma santé ou ma vie. Vous sentez bien qu’avec une telle inquiétude, qui, quelque ridicule qu’elle paraisse, est pourtant fondée, il ne m’est pas possible d’être heureux. Je pourrais devenir roi, sans l’être davantage ; il semble même que je ne puisse acquérir de nouveaux biens, sans sentir augmenter ma peine, puisque la crainte d’en être privé m’en