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donnait des louanges, et j’en étais flattée. La nature m’avait ornée de couleurs que j’entendais élever beaucoup au-dessus du rouge artificiel dont tous les visages étaient masqués. Au milieu du plaisir que me donnaient toutes ces remarques, une seule chose me mortifiait. J’avais reconnu plusieurs des cavaliers qui venaient chez ma mère ; ils ne nous avaient pas salués, et paraissaient nous méconnaître. Je sentais machinalement qu’il y avait quelque chose de méprisant dans leur conduite réservée. J’en étais humiliée sans savoir pourquoi ; et, toutes les fois que je voyais un homme s’approcher d’une dame, d’une manière respectueuse, j’en faisais la comparaison avec celle dont on nous traitait chez nous, qui, à beaucoup près, n’avait rien de si flatteur. L’Opéra fit évanouir toutes ces idées. Je fus comme hors de moi-même tout le tems du spectacle, et ne m’aperçus pas que mon admiration naïve en donnait une au parterre, où toutes les lorgnettes étaient fixées sur moi.