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le château vert

Barrière, les yeux grands ouverts, se hérissait d’étonnement.

— Et l’on ajoute que c’est grâce à cette fortune que vous avez pu vous établir maraîcher.

— Quel roman ! Et sot ! Et bête !… Alors mes camarades ne m’ont pas dénoncé ?

— Non. Vous avez pensé que personne ne vous avait surpris. Mais aujourd’hui un homme se vante d’avoir assisté à la découverte de la cassette ; seulement il prétend qu’il n’a pas eu le courage de vous dénoncer sur l’heure. Puis, le temps a passé.

— Quel est ce paltoquet ?

— L’un de vos camarades du chantier, Micquemic.

— Voilà un fainéant à qui je n’aurais jamais songé. Effectivement, nous avons quelquefois manié le mortier ensemble.

Et portant la main à son front, Barrière poursuivit :

— Ce fainéant n’aurait jamais trouvé seul une pareille histoire. Je vous dirai donc quelque chose dont je ne parle jamais, que savent très bien les vieux maçons, et qui a dû donner le branle à l’imagination de Micquemic. La chose remonte très loin, à la Révolution de 89. Le marquis de Sérignan, au début de 1790, émigra ainsi que plusieurs seigneurs de la région. Mais, sûr qu’il était de revenir bientôt, et soucieux de ne pas exposer son argent aux hasards de ses pérégrinations, il le confia au père de mon grand-père, qui était maître maçon. Où le cacher ? Mon aïeul ouvrit dans l’écurie, sous la crèche, un grand trou, où il serra une cassette remplie de louis d’or, et qu’il mura d’une pierre. La famille du marquis ne tarda pas à le rejoindre à l’étranger. Puis, dix ans après, la bourrasque se dissipa tout à fait. Le marquis revint à Sérignan avec sa famille. Mon aïeul aussitôt courut chez lui.

Il descella non sans peine l’énorme pierre du coffre-fort bizarre, d’où l’on retira une cassette. Jamais, malgré les instances du marquis, il n’accepta la moindre récompense. Il n’avait fait que son devoir… Voilà, monsieur Ravin, l’histoire véridique qui certainement a fermenté dans la cervelle de ce propre à rien de Micquemic.

— C’est un roman aussi, mais combien pathétique, tout à l’honneur de votre nom. Pourquoi ne l’avez-vous jamais dit ?

— Je n’en ai pas besoin. Ce n’est pas moi d’ailleurs qui