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le château vert

comme le ciel. Mais un vent froid passait dans l’étendue, vers les Cévennes, où de fins nuages blancs se teignaient déjà de pourpre. Elles marchaient d’un pas rapide le long des vagues, bras à bras, en se serrant l’une contre l’autre. Sur le quai de l’Hérault, il n’y avait personne. Cela leur parut d’une augure favorable, que personne ne pût sur prendre le moindre indice de leur méchant complot.

Au Château, Benoît boudait toujours, dans le petit bureau, dont il avait soigneusement fermé la porte, afin de se consoler de ses misères dans le recueillement. Lorsque Irène, avec l’enthousiasme de son esprit crédule, lui eut exposé le succès de sa démarche auprès de Micquemic, il grommela :

— Vous avez commis une mauvaise action, et maladroite, nous en serons punis.

— Allons donc ! Tu n’es jamais content, toi.

— Nous serons brouillés avec les Ravin. Et toi, Thérèse, tu n’auras pas davantage Philippe. Pourquoi ne pas nous résigner bravement à l’inévitable ?

— Moi, je ne sais pas me résigner, déclara l’altière Thérèse.

— Les Ravin reculeront devant le scandale de la malhonnêteté des Barrière, ajouta Irène. Et ils nous reviendront, j’en suis sûre.

— Oui, tout s’arrange, n’est-ce pas ?

— Certainement !

— Par vos maladresses, vous aggraverez vos ennuis. Et puis, quoi ! Est-ce possible que les Jalade s’associent à M. Micquemic ? Pourvu qu’il ne vous trahisse pas !…

— Il s’en gardera bien. Son intérêt n’est-il pas de nous rester fidèle ?

Jalade haussa les épaules, et trop malheureux pour discuter davantage, il s’en fut dans la cuisine.

Le lendemain, Thérèse, impatiente de répandre le poison de sa vengeance, partit en auto pour Agde, sous le prétexte de s’y occuper d’une toilette. C’était dix heures. Le marché aux poissons battait son plein, à l’ombre des vieux platanes, sur la riante placette de la « Marine » que longe, contre le quai de la cathédrale, le large cours de l’Hérault où stationnent les tartanes balourdes, encapuchonnées de bâches multicolores.

Parmi le va-et-vient des ménagères qui, dans les corbeilles des éventaires, examinaient maquereaux, rougets,