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le château vert

geuses, non sans frissonner de quelque frayeur, se remémoraient la dette de 10 000 francs qu’il fallait rembourser le lendemain. Avant de se mettre à table, Irène, en mondaine de la Côte d’Azur, voulut rafraîchir un peu sa toilette. Elle monta donc à sa chambre.

Bientôt elle en descendit, parfumée, pomponnée, son gros visage blanc de poudre. Thérèse, amaigrie par la fatigue de ses promenades, se montrait indifférente aux soins de sa personne, les yeux battus, les lèvres gonflées par une moue, elle qui d’ordinaire était si vive. On eût dit que, depuis qu’elle avait touché le sol d’Agde, elle pressentait l’immense malheur qui allait fondre sur sa destinée. Néanmoins, pendant le repas, elle prit part volontiers à la conversation de sa mère, rectifiant un détail ou le complétant. Sa mère lui donnait toujours raison.

— Cette petite se souvient de tout mieux que moi. Ah ! ce voyage contribuera beaucoup à son éducation, je t’assure. Tu verras plus tard, Benoît, quand elle aura un salon, un vrai salon à elle, pour ses amis, et où ne pénétrera pas notre clientèle…

— Un salon à Agde ?

— Oui, à Agde !… Pourquoi pas !… Tu ne comprends donc pas ?

Benoit, sans se fâcher, demanda :

— Enfin, tu as eu assez d’argent ?

Irène suffoqua de surprise, et ses yeux chavirèrent dans leurs lâches orbites. Thérèse baissa le nez, son long nez boursouflé, sur son assiette. Mais le malaise ne dura qu’une minute. Irène posa la main sur l’épaule de son mari, et de sa meilleure grâce le caressa :

— Oui, nous avons eu assez d’argent. Que tu es bon !

Vite, elle parla d’autres choses, des magasins de Nice, plus beaux que ceux mêmes de Paris, et où elle aurait dépensé énormément en emplettes de toute sorte, si elle ne savait pas toujours résister aux tentations. Cependant, comme elle comptait que seule, en tête à tête avec son mari, elle aurait plus de courage pour avouer sa dette, elle engagea Thérèse, à la fin du dessert, à aller se coucher. Thérèse, contente de ne pas assister à une scène de reproches qu’elle n’avait aucun mérite à prévoir, monta incontinent à sa chambre.

Alors, Irène s’assit délibérément dans l’unique fauteuil