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le château vert

— Je ne comprends pas, dit Thérèse, qu’on puisse s’ennuyer ici.

— Pardon ! répondit Philippe, c’est que je pense à mon père, à tout le travail qui l’accable, et dont je n’ai pu depuis trop longtemps le soulager.

— Brave enfant ! murmura Mme Ravin.

Thérèse jouissait bien plus de tenir compagnie à Philippe que d’admirer la magnificence du paysage. Soudain tandis qu’ils appuyaient leur front contre le carreau de la fenêtre, ils aperçurent Mariette se promenant sur le quai. De nouveau une flamme envahit le visage de Philippe. Thérèse eut un petit ricanement malicieux, mais sans amertume :

— Ne te trouble pas, Philippe, parce que tes yeux rencontrent la fille du jardinier.

— Hé ! Sa vue me rappelle ma maison, mon parc, l’heure douce d’après déjeuner, où je la retrouve dans son jardin ; cette heure de flânerie et de recueillement qui me semble si loin, et que tu partages certains jours.

— Ta maison et ton père t’attendent. Mais pour nous, crois-tu que ce n’est rien que de te posséder ici ?

— J’aurais préféré être ici dans des conditions plus agréables.

— Ce temps-là viendra, dit Thérèse qui se plaisait en ses illusions.

— Alors, toi, tu ne fais pas grand’chose ?

— Si !… Té ! Je vais en bas vérifier quelques comptes. Maman se trompe assez souvent dans ses chiffres.

— C’est ça, va travailler.

Il lui serra la main avec une ferveur dont elle fut remuée en sa petite âme chaleureuse. C’est que, par compassion, il ne voulait pas lui arracher, — le moment viendrait assez tôt, — son rêve d’amour et de mariage. Elle s’en fut, glorieuse après avoir embrassé la mère de Philippe, qu’elle appela « ma seconde maman ».


CHAPITRE VI

Ce joli matin de novembre, dans le bureau de l’hôtel, toutes portes closes, Thérèse n’étant pas encore descendue de sa chambre, Mme Jalade, à la fois douce et autoritaire disait à son mari :