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le château vert

mourir sur les bancs de sable, elle s’engagea délibérément. Sur la plage, il n’y avait qu’un groupe d’enfants que leurs mères ramenaient à l’une des auberges voisines du Château Vert.

Thérèse marchait vite, d’une allure de défi et de bataille. Plus d’un kilomètre au delà du bosquet de pins, le sentier s’insinue à la base d’une faible colline, que forme l’entassement des blocs de lave dégringolant de gradins en gradins jusqu’à la mer. Au creux de l’une de ces roches, criblées de trous comme des éponges, Thérèse se reposa, et dans la brume qu’exhalait le flot immense parmi la paix de la plage déserte, elle eut l’étrange volupté de savourer un acte de vengeance. En effet, chez elle, au Château, ne s’était-on pas aperçu de sa disparition ? On la cherchait certainement partout. Et ses parents, ses amis, devaient enfin souffrir comme elle.

Longtemps elle demeura prostrée, la tête entre les mains. L’ombre rôdait alentour, et sur les vagues à l’écume désormais invisible. Quelques étoiles s’allumèrent au firmament. Tandis qu’un nuage de ténèbres perlait sur la plaine de sables, la lumière des phares, là-bas, à la bouche de l’Hérault, devint aveuglante. Soudain, un pas sonna dans l’ombre, le pas d’un vieil homme qui revenait, un filet de pêche à la main, du « Bras de Richelieu », la longue jetée de pierres qui s’avance droit dans la mer.

Cet homme était petit, maigre, moricaud, les gestes mesurés, les lèvres souriantes sous une moustache grise. Il avait des anneaux aux oreilles, comme un esclave. Esclave volontaire, n’ayant jamais travaillé que par à-coups, sous la contrainte des griffes de l’indigence, il s’était, depuis les années de sa jeunesse, adapté docilement à la nécessité des privations et des quémandes.

À présent, paria que n’humiliait point le geste de mendier la charité de son prochain, il ne travaillait plus du tout. Son bonheur, il le trouvait à vivre au gré des circonstances et à boire.

Sa femme, lessiveuse jadis, était devenue auprès de lui une pauvresse résignée aux fatalités du sort, qu’elle croyait injuste.

Repoussés par la méfiance du monde, ils étaient venus, loin de la ville, habiter une masure, que l’homme avait réparée de son mieux, presque en haut de la colline, au-dessus du poste de douane, sur une terrasse d’où l’on