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le château vert

Philippe, debout, fiers, échangeaient des saluts avec les Jalade, qui s’avancèrent sur le quai, triomphants de montrer aux gens du voisinage l’union des deux enfants si braves.

La cloche se tut, et le bateau indolemment démarra. Au milieu du fleuve, une onde brusque le secoua, une onde de la mer avide qui sans fin assaillait les rochers des phares. La mer l’attira en ses profonds remous. Il vira non sans peine, vers la gauche, dans la direction de Brescou, qui en deçà de l’horizon présentait la forme d’une gigantesque bouée noire.

Philippe était installé à la proue dans le frémissement soyeux de la vague qui enveloppait de sa bouillonnante écume les flancs sourds du bateau. Thérèse, accoudée auprès de Philippe, respectait son silence cette fois. Ils étaient seuls. Malgré le vent, qui par rafales galopait sur la mer mugissante, Philippe jouissait par tout son être de s’abandonner à l’élan du voyage, comme dans un songe vers plus d’espace. Devant lui se précisait mieux, là-bas, dans le tourbillon du vent et de la lumière, la figure barbare de l’îlot de Brescou, les remparts de sa forteresse meurtris par les tempêtes, et tout autour de l’ilot les rocs de lave qui, gardiens fidèles, veillent depuis des siècles sur son isolement.

Philippe, intéressé par le passage d’une troupe de poissons dont les écailles avaient des lueurs de sang, se pencha sans prudence hors du bastingage. Éprouva-t-il tout à coup un vertige ? Le bateau, attaqué perfidement par la boule, inclina-t-il trop fort sa carcasse qui sous le choc geignit ? Philippe, incapable de résister à la secousse plongea dans le gouffre chargé d’écume. Thérèse, saisie d’horreur, demeura sans voix une seconde. Puis, tandis que les passagers, affolés, jetaient des cris d’alarme, elle se pencha sur le gouffre, tendant les bras en pleurant de son impuissance. Philippe était déjà hors d’atteinte lorsque le batelier, à tout hasard, lança un de ses cordages à la mer.

Par bonheur, vêtu d’un léger costume de flanelle chaussé de sandales, Philippe nageait vers la barque de sauvetage, qu’il n’atteignit néanmoins qu’au bout de dix minutes. Que c’est long, dix minutes ! Exténué de fatigue courageux, il s’offrit habilement à l’étreinte du vieux sauveteur qui le hissa dans sa barque. Mais, sous la bâche,