Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/178

Cette page n’a pas encore été corrigée

Deux mots, mon fils. Je veux m’acquitter avec toi : un sentiment mal dirigé
m’avait rendue injuste envers ta charmante femme ; je la supposais d’accord avec
le Comte, quoique j’eusse appris de Bazile qu’elle l’avait toujours rebuté.
Figaro
Vous connaissiez mal votre fils de le croire ébranlé par ces impulsions
féminines. Je puis défier la plus rusée de m’en faire accroire.
Marceline
Il est toujours heureux de le penser, mon fils ; la jalousie…
Figaro
… N’est qu’un sot enfant de l’orgueil, ou c’est la maladie d’un fou. Oh ! j’ai
là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne doit me
tromper un jour, je le lui pardonne d’avance ; elle aura longtemps travaillé…
(Il se retourne et aperçoit Fanchette qui cherche de côté et d’autre.)
Scène XIV
Figaro, Fanchette, Marceline.
Figaro
Eeeh !… ma petite cousine qui nous écoute !
Fanchette
Oh ! pour ça, non : on dit que c’est malhonnête.
Figaro
Il est vrai ; mais comme cela est utile, on fait aller souvent l’un pour l’autre.
Fanchette
Je regardais si quelqu’un était là.
Figaro
Déjà dissimulée, friponne ! vous savez bien qu’il n’y peut être.
Fanchette
Et qui donc ?
Figaro
Chérubin
Fanchette
Ce n’est pas lui que je cherche, car je sais fort bien où il est ; c’est ma
cousine Suzanne.
Figaro
Et que lui veut ma petite cousine ?
Fanchette
À vous, petit cousin, je le dirai. — C’est… ce n’est qu’une épingle que je
veux lui remettre.
Figaro, vivement.
Une épingle ! une épingle !… Et de quelle part, coquine ? À votre âge, vous
faites déjà un mét… (Il se reprend et dit d’un ton doux.) Vous faites déjà
très bien tout ce que vous entreprenez, Fanchette ; et ma jolie cousine est si
obligeante…
Fanchette
À qui donc en a-t-il de se fâcher ? Je m’en vais.
Figaro, l’arrêtant.
Non, non, je badine. Tiens, ta petite épingle est celle que Monseigneur t’a dit
de remettre à Suzanne, et qui servait à cacheter un petit papier qu’il tenait :
tu vois que je suis au fait.
Fanchette
Pourquoi donc le demander, quand vous le savez si bien ?
Figaro, cherchant.
C’est qu’il est assez gai de savoir comment Monseigneur s’y est pris pour t’en
donner la commission.
Fanchette, naïvement.
Pas autrement que vous le dites : Tiens, petite Fanchette, rends cette épingle à
ta belle cousine, et dis-lui seulement que c’est le cachet des grands
marronniers.
Figaro
Des grands ?…
Fanchette
Marronniers. Il est vrai qu’il a ajouté : Prends garde que personne ne te voie.
Figaro
Il faut obéir, ma cousine : heureusement personne ne vous a vue. Faites donc
joliment votre commission, et n’en dites pas plus à Suzanne que Monseigneur n’a
ordonné.
Fanchette
Et pourquoi lui en dirais-je ? Il me prend pour un enfant, mon cousin. (Elle sort
en sautant.)
Scène XV
Figaro, Marceline.
Figaro
Hé bien, ma mère ?
Marceline
Hé bien, mon fils ?
Figaro, comme étouffé.
Pour celui-ci !… Il y a réellement des choses !…
Marceline
Il y a des choses ! Hé, qu’est-ce qu’il y a ?
Figaro, les mains sur sa poitrine.
Ce que je viens d’entendre, ma mère, je l’ai là comme un plomb.
Marceline riant.
Ce cœur plein d’assurance n’était donc qu’un ballon gonflé ? une épingle a tout
fait partir !
Figaro, furieux.
Mais cette épingle, ma mère, est celle qu’il a ramassée !
Marceline, rappelant ce qu’il a dit.
La jalousie ! oh ! j’ai là-dessus, ma mère, une philosophie…