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 de Chérubin, et le baise au front.) Elle en rougit ! (À
Suzanne.) Ne trouves-tu pas, Suzon… qu’elle ressemble à quelqu’un ?
Suzanne
À s’y méprendre, en vérité.
Chérubin, à part, les mains sur son cœur.
Ah ! ce baiser-là m’a été bien loin !
Scène V
Les jeunes filles, Chérubin au milieu d’elles, Fanchette, Antonio, Le Comte, La
Comtesse, Suzanne.
Antonio
Moi je vous dis, Monseigneur, qu’il y est ; elles l’ont habillé chez ma fille ;
toutes ses hardes y sont encore, et voilà son chapeau d’ordonnance que j’ai
retiré du paquet. (Il s’avance et regardant toutes les filles, il reconnaît
Chérubin, lui enlève son bonnet de femme, ce qui fait retomber ses longs cheveux
en cadenette. Il lui met sur la tête le chapeau d’ordonnance et dit : ) Eh
parguenne, v’là notre officier !
La Comtesse recule.
Ah ciel !
Suzanne
Ce friponneau !
Antonio
Quand je disais là-haut que c’était lui !…
Le Comte, en colère.
Hé bien, madame ?
La Comtesse
Hé bien, monsieur ! vous me voyez plus surprise que vous et, pour le moins, aussi
fâchée.
Le Comte
Oui ; mais tantôt, ce matin ?
La Comtesse
Je serais coupable, en effet, si je dissimulais encore. Il était descendu chez
moi. Nous entamions le badinage que ces enfants viennent d’achever ; vous nous
avez surprises l’habillant : votre premier mouvement est si vif ! il s’est sauvé,
je me suis troublée ; l’effroi général a fait le reste.
Le Comte, avec dépit, à Chérubin.
Pourquoi n’êtes-vous pas parti ?
Chérubin, ôtant son chapeau brusquement.
Monseigneur…
Le Comte
Je punirai ta désobéissance.
Fanchette, étourdiment.
Ah, Monseigneur, entendez-moi ! Toutes les fois que vous venez m’embrasser, vous
savez bien que vous dites toujours : Si tu veux m’aimer, petite Fanchette, je te
donnerai ce que tu voudras.
Le Comte, rougissant.
Moi ! j’ai dit cela ?
Fanchette
Oui, Monseigneur. Au lieu de punir Chérubin, donnez-le-moi en mariage, et je
vous aimerai à la folie.
Le Comte, à part.
Etre ensorcelé par un page !
La Comtesse
Hé bien, monsieur, à votre tour ! L’aveu de cette enfant aussi naïf que le mien
atteste enfin deux vérités : que c’est toujours sans le vouloir si je vous cause
des inquiétudes, pendant que vous épuisez tout pour augmenter et justifier les
miennes.
Antonio
Vous aussi, Monseigneur ? Dame ! je vous la redresserai comme feu sa mère, qui est
morte… Ce n’est pas pour la conséquence ; mais c’est que madame sait bien que
les petites filles, quand elles sont grandes…
Le Comte, déconcerté, à part.
Il y a un mauvais génie qui tourne tout ici contre moi !
Scène VI
Les jeunes filles, Chérubin, Antonio, Figaro, Le Comte, La Comtesse, Suzanne.
Figaro
Monseigneur, si vous retenez nos filles, on ne pourra commencer ni la fête, ni
la danse.
Le Comte
Vous, danser ! vous n’y pensez pas. Après votre chute de ce matin, qui vous a
foulé le pied droit !
Figaro, remuant la jambe.
Je souffre encore un peu ; ce n’est rien. (Aux jeunes filles.) Allons, mes
belles, allons !
Le Comte le retourne.
Vous avez été fort heureux que ces couches ne fussent que du terreau bien doux !
Figaro
Très heureux, sans doute ; autrement…
Antonio le retourne.
Puis il s’est pelotonné en tombant jusqu’en bas.
Figaro
Un plus adroit, n’est-ce pas, serait resté en l’air ? (Aux jeunes filles.) Venez-
vous, mesdemoiselles ?
Antonio le retourne.
Et, pendant ce temps, le petit page galopait sur son cheval à Séville ?
Figaro
Galopait, ou marchait au pas…
Le Comte