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Prenez le cheval barbe.
Pédrille
Il est à la grille du potager, tout sellé.
Le Comte
Ferme, d’un trait, jusqu’à Séville.
Pédrille
Il n’y a que trois lieues, elles sont bonnes.
Le Comte
En descendant, sachez si le page est arrivé.
Pédrille
Dans l’hôtel ?
Le Comte
Oui ; surtout depuis quel temps.
Pédrille
J’entends.
Le Comte
Remets-lui son brevet, et reviens vite.
Pédrille
Et s’il n’y était pas ?
Le Comte
Revenez plus vite, et m’en rendez compte. Allez.
Scène IV
Le Comte, seul, marche en rêvant.
J’ai fait une gaucherie en éloignant Bazile !… la colère n’est bonne à rien. Ce billet remis par lui, qui m’avertit d’une entreprise sur la Comtesse ; la
camariste enfermée quand j’arrive ; la maîtresse affectée d’une terreur fausse ou
vraie ; un homme qui saute par la fenêtre, et l’autre après qui avoue… ou qui
prétend que c’est lui… Le fil m’échappe. Il y a là-dedans une obscurité… Des
libertés chez mes vassaux, qu’importe à gens de cette étoffe ? Mais la Comtesse !
si quelque insolent attentait… Où m’égaré-je ? En vérité, quand la tête se
monte, l’imagination la mieux réglée devient folle comme un rêve ! — Elle
s’amusait : ces ris étouffés, cette joie mal éteinte ! — Elle se respecte ; et mon
honneur… où diable on l’a placé ! De l’autre part, où suis-je ? cette friponne
de Suzanne a-t-elle trahi mon secret ?… comme il n’est pas encore le sien…
Qui donc m’enchaîne à cette fantaisie ? j’ai voulu vingt fois y renoncer…
Etrange effet de l’irrésolution ! si je la voulais sans débat, je la désirerais
mille fois moins. — Ce Figaro se fait bien attendre ! il faut le sonder
adroitement (Figaro paraît dans le fond, il s’arrête) et tâcher, dans la
conversation que je vais avoir avec lui, de démêler d’une manière détournée s’il
est instruit ou non de mon amour pour Suzanne.
Scène V
Le Comte, Figaro.
Figaro, à part.
Nous y voilà.
Le Comte
… S’il en sait par elle un seul mot…
Figaro, à part.
je m’en suis douté.
Le Comte
… Je lui fais épouser la vieille.
Figaro, à part,
Les amours de monsieur Bazile ?
Le Comte
… Et voyons ce que nous ferons de la jeune.
Figaro, à part.
Ah ! ma femme, s’il vous plaît.
Le Comte, se retourne.
Hein ? quoi ? qu’est-ce que c’est ?
Figaro s’avance.
Moi, qui me rends à vos ordres.
Le Comte
Et pourquoi ces mots ?…
Figaro
Je n’ai rien dit.
Le Comte répète.
Ma femme, s’il vous plaît ?
Figaro
C’est… la fin d’une réponse que je faisais : allez le dire à ma femme, s’il
vous plaît.
Le Comte se promène.
Sa femme !… Je voudrais bien savoir quelle affaire peut arrêter monsieur, quand
je le fais appeler ?
Figaro, feignant d’assurer son habillement.
Je m’étais sali sur ces couches en tombant ; je me changeais.
Le Comte
Faut-il une heure ?
Figaro
Il faut le temps.
Le Comte
Les domestiques ici… sont plus longs à s’habiller que les maîtres !
Figaro
C’est qu’ils n’ont point de valets pour les y aider.
Le Comte
Je n’ai pas trop compris ce qui vous avait forcé tantôt de courir un danger
inutile, en vous jetant…
Figaro
Un danger ! on dirait que je me suis engouffré tout vivant…
Le Comte