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Il y a quelqu’un dans ce cabinet, madame.
La Comtesse
Hé… qui voulez-vous qu’il y ait, monsieur ?
Le Comte
C’est moi qui vous le demande ; j’arrive.
La Comtesse
Hé mais… Suzanne apparemment qui range.
Le Comte
Vous avez dit qu’elle était passée chez elle !
La Comtesse
Passée… ou entrée là ; je ne sais lequel.
Le Comte
Si c’est Suzanne, d’où vient le trouble où je vous vois ?
La Comtesse
Du trouble pour ma camariste ?
Le Comte
Pour votre camariste, je ne sais ; mais pour du trouble, assurément.
La Comtesse
Assurément, monsieur, cette fille vous trouble et vous occupe beaucoup plus que
moi.
Le Comte, en colère.
Elle m’occupe à tel point, madame, que je veux la voir à l’instant.
La Comtesse
Je crois, en effet, que vous le voulez souvent : mais voilà bien les soupçons les
moins fondés…
Scène XIII
Le Comte, La Comtesse, Suzanne entre avec des hardes et pousse la porte du fond.
Le Comte
Ils en seront plus aisés à détruire. (Il parle au cabinet.) Sortez, Suzon, je
vous l’ordonne ! (Suzanne s’arrête auprès de l’alcôve dans le fond.)
La Comtesse
Elle est presque nue, monsieur ; vient-on troubler ainsi des femmes dans leur
retraite ? Elle essayait des hardes que je lui donne en la mariant ; elle s’est
enfuie quand elle vous a entendu.
Le Comte
Si elle craint tant de se montrer, au moins elle peut parler. (Il se tourne vers
la porte du cabinet.) Répondez-moi, Suzanne ; êtes-vous dans ce cabinet ?
(Suzanne, restée au fond, se jette dans l’alcôve et s’y cache.)
La Comtesse, vivement, parlant au cabinet.
Suzon, je vous défends de répondre. (Au Comte.) On n’a jamais poussé si loin la
tyrannie !
Le Comte s’avance au cabinet.
Oh ! bien, puisqu’elle ne parle pas, vêtue ou non, je la verrai.
La Comtesse se met au-devant.
Partout ailleurs je ne puis l’empêcher ; mais j’espère aussi que chez moi…
Le Comte
Et moi j’espère savoir dans un moment quelle est cette Suzanne mystérieuse. Vous
demander la clef serait, je le vois, inutile ; mais il est un moyen sûr de jeter
en dedans cette légère porte. Holâ ! quelqu’un !
La Comtesse
Attirer vos gens, et faire un scandale public d’un soupçon qui nous rendrait la
fable du château ?
Le Comte
Fort bien, madame. En effet, j’y suffirai ; je vais à l’instant prendre chez moi
ce qu’il faut… (Il marche pour sortir, et revient.) Mais, pour que tout reste
au même état, voudrez-vous bien m’accompagner sans scandale et sans bruit,
puisqu’il vous déplaît tant ?… Une chose aussi simple, apparemment, ne me sera
pas refusée !
La Comtesse, troublée.
Eh ! monsieur, qui songe à vous contrarier ?
Le Comte
Ah ! j’oubliais la porte qui va chez vos femmes ; il faut que je la ferme aussi,
pour que vous soyez pleinement justifiée. (Il va fermer la porte du fond et en
ôte la clef.)
La Comtesse, à part.
Ô ciel ! étourderie funeste !
Le Comte, revenant à elle.
Maintenant que cette chambre est close, acceptez mon bras, je vous prie ; (il
élève la voix) et quant à la Suzanne du cabinet, il faudra qu’elle ait la bonté
de m’attendre ; et le moindre mal qui puisse lui arriver à mon retour…
La Comtesse
En vérité, monsieur, voilà bien la plus odieuse aventure… (Le Comte l’emmène
et ferme la porte à la clef.)
Scène XIV
Suzanne, Chérubin.
Suzanne sort de l’alcove, accourt au cabinet et parle à la serrure.
Ouvez, Chérubin, ouvez vite, c’est Suzanne ; ouvrez et sortez.
Chérubin sort.
Ah ! Suzon, quelle horrible scène !
Suzanne
Sortez, vous n’avez pas une minute.
Chérubin, effrayé.
Eh, par où sortir ?
Suzanne
Je n’en sais rien, mais sortez.
Chérubin