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Ce n’est pas la honte qui me retient.
Suzanne
La crainte ?
Figaro
Ce n’est rien d’entreprendre une chose dangereuse, mais d’échapper au péril en
la menant à bien : car d’entrer cher quelqu’un la nuit, de lui souffler sa femme,
et d’y recevoir cent coups de fouet pour la peine, il n’est rien plus aisé ;
mille sots coquins l’ont fait. Mais… (On sonne de l’intérieur.)
Suzanne
Voilà madame éveillée ; elle m’a bien recommandé d’être la première à lui parler
le matin de mes noces.
Figaro
Y a-t-il encore quelque chose là-dessous ?
Suzanne
Le berger dit que cela porte bonheur aux épouses délaissées. Adieu, mon petit
Fi, Fi, Figaro ; rêve à notre affaire.
Figaro
Pour m’ouvrir l’esprit, donne un petit baiser.
Suzanne
À mon amant aujourd’hui ? Je t’en souhaite ! Et qu’en dirait demain mon mari ?
(Figaro l’embrasse.)
Suzanne
Hé bien ! hé bien !
Figaro
C’est que tu n’as pas d’idée de mon amour.
Suzanne, se défripant.
Quand cesserez-vous, importun, de m’en parler du matin au soir ?
Figaro, mystérieusement.
Quand je pourrai te le prouver du soir jusqu’au matin. (On sonne une seconde
fois.)
Suzanne, de loin, les doigts unis sur sa bouche.
Voilà votre baiser, monsieur ; je n’ai plus rien à vous.
Figaro court après elle.
Oh ! mais ce n’est pas ainsi que vous l’avez reçu.
Scène II
Figaro, seul.
La charmante fille ! toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d’esprit,
d’amour et de délices ! mais sage ! (Il marche vivement en se frottant les mains.)
Ah ! Monseigneur ! mon cher Monseigneur ! vous voulez m’en donner… à garder ? Je
cherchais aussi pourquoi m’ayant nommé concierge, il m’emmène à son ambassade,
et m’établit courrier de dépêches. J’entends, monsieur le Comte ; trois
promotions à la fois : vous, compagnon ministre ; moi, casse-cou politique, et
Suzon, dame du lieu, l’ambassadrice de poche, et puis ; fouette courrier ! Pendant
que je galoperais d’un côté, vous feriez faire de l’autre à ma belle un joli
chemin ! Me crottant, m’échinant pour la gloire de votre famille ; vous, daignant
concourir à l’accroissement de la mienne ! Quelle douce réciprocité ! Mais,
Monseigneur, il y a de l’abus. Faire à Londres, en même temps, les affaires de
votre maître et celles de votre valet ! représenter à la fois le Roi et moi dans
une Cour étrangère, c’est trop de moitié, c’est trop. — Pour toi, Bazile ! fripon
mon cadet ! je veux t’apprendre à clocher devant les boiteux ; je veux… Non,
dissimulons avec eux, pour les enferrer l’un par l’autre. Attention sur la
journée, monsieur Figaro ! D’abord avancer l’heure de votre petite fête, pour
épouser plus sûrement ; écarter une Marceline qui de vous est friande en diable ;
empocher l’or et les présents ; donner le change aux petites passions de monsieur
le Comte ; étriller rondement monsieur du Bazile, et…
Scène III
Marceline, Bartholo, Figaro.
Figaro s’interrompt.
Héééé, voilà le gros docteur : la fête sera complète. Hé ! bonjour, cher docteur
de mon cœur ! Est-ce ma noce avec Suzon qui vous attire au château ?
Bartholo, avec dédain.
Ah ! mon cher monsieur, point du tout.
Figaro
Cela serait bien généreux !
Bartholo
Certainement, et par trop sot.
Figaro
Moi qui eus le malheur de troubler la vôtre !
Bartholo
Avez-vous autre chose à nous dire ?
Figaro
On n’aura pas pris soin de votre mule !
Bartholo, en colère.
Bavard enragé ! laissez-nous.
Figaro
Vous vous fâchez, docteur ? Les gens de votre état sont bien durs ! Pas plus de
pitié des pauvres animaux… en vérité… que si c’était des hommes ! Adieu,
Marceline avez-vous toujours envie de plaider contre moi ?
Pour n’aimer pas, faut-il qu’on se haïsse ?
Je m’en rapporte au docteur.
Bartholo
Qu’est-ce que c’est ?
Figaro
Elle vous le contera de reste. (Il sort.)
Scène