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compter sur quelque chose de certain. En vous parlant ainsi, je vous suppose instruit, cher ami, par Roudil, à qui j’ai écrit hier et envoyé ce matin le détail exact de mon accident : je suppose encore que vous concevez que l’homme embarqué est votre pauvre ami, qui écrit difficilement à cause de l’ébranlement successif de chaque coup d’aviron.

Mais que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?


dit notre ami la Fontaine, en nous contant l’histoire de son lièvre. Et moi je dis : Q xie, à moins qm l I In peut lire, répondrez-vous. Je le sais, mais la lecture isole et l’écriture console. La réflexion est austère, et I entretien est doux, avec son ami bien entendu. Il faut doue que je vous dise ce qui m’occupe depuis deux jours.

J’ai réfléchi, et je me suis convaincu qu’en tout le mal n’est jamais aussi grand qu gérateur de sa natun nte. J’ai éprouvé maintenant, tant au moral qu’au physiqu ! | près les plus grands maux qui puissent atteindre un homme. L’est un spectacle —ans douti frayant pour vous, que votre ami renversé par des brigands, et frappé d’un poignard meurtrier : mais réellement, mon ami. croyez-moi, au moment qu’il arrive, c’est assez peu de chose que ce mal.

Occupé de la défense, et même de rendre à l’ennemi le mal qu’il me faisait, ce qui m’affectait le moins alors était la douleur physique : à peine la sentais-je, et la colère était bien sûrement mon affection dominante. L’est la frayeur, laquelle n’est qu’un mauvais et faux aspect de l’état des chosi s, qui tue l’âme et rend le corps débile : l’événement aperçu sous son vrai point de vue, au contraire. exalte l’une et renforce l’autre. In homme ose m’attaquer, il ose troubler la tranquillité de ma marche. C’est un insolent qu’il faut punir. Il en arrive un autre, il s’agit alors de changer l’offensive en défense ; il y a bien là de quoi occuper Lune tout entière. Si dans ce débat violent l’un d’eux me perce le cœur et que je succombe, alors. mon ami, l’excès du mal même l’ait cesser le mal ; et tout cela est bien prompt. Mai— personne n comme moi qu’un homme d’honneur attaque est plus fort que deux biches coquins dont l’aspect de l’homme ferme resserre le cœur et l’ait trembler le car ils savent bien que toutes les chances sont contre eux. D’ailleurs le premier des biens dans le mal est l’improviste. un n’a pas le temps d’avoirpeur quand le danger nous surprend. Voilà d’où nail la force d’un pollron révolté. Si vous ajoutez à cela l’impossibilité aperçue de se sauver par la fuite, le plus lâche des hommes peut i n devenir le plus brave à l’instant.

Nous reprendrons ceci dans un moment, car je suis an port de Lintz. Deux pâtres y sont descendus avi i deux clarinetti s, donl ils jouent fi et l’espoir de quelques craiti hes, d’un demi-florin, les t’ait tenir auprès de mon bateau malgré la pluie. Vous connaissez mon goûl pour la musique. Me voilà tout gai. Il pic mon âme s’affecte plus vivement du lien que du mal, et j’en sais la raison : le dernier, initiant 1rs nerfs dans un liraillement convulsif. dans une tension surnaturelle, détruit la souplesse, la duiirc mollesse qui les rend si sensibles au chatouillement du plaisir. On s’arme contre le mal : en s’irritant, on moins : au lieu qu’on • i de, on prête a la volupté une force qui est moinsen elle que dans l’agréable faiblesse où l’on tombe volontairement. Ma nanl que j’ai donné le demi-florin, entendez-vous deux cors qui se joignenl aux clarinettes ? Réellement ils jouent à faire le plus grand plaisir : el, dans ce moment, je suis à mille lieu » — di des poignards, des forêts, des parlements, en un ius les m.’, haut-, qui —.>nt bien plus malheureux que moi, qu’ils ont tant persécuté, i arils avaient tort.

Autre persécution ! On vient me visiter, et voir si je n’ai rien non-seulement dans ma valise, mais même dans mou portefeuille, contre les ordres de l’impératrice. Le plus plaisant est que ceux qui visitent mes papiers n’entendent pas le français : vous jugez quelle belle inquisition cela doit faire ! Encore un florin, car voilà à quoi cela aboutit, et à de grand— hélas ! sur mes blessures. Maintenant je suis reparti ; la pluie a cessé. Du sommet à la base des montagnes, les différentes nuances du vert des sapins obscurs, des ormes moins fonces et de la douce couleur des prés, i e beau canal qui m’entraîne au milieu di croupes élevées dont la culture a relégué à la cime, font un spectacle ravissant ; et —i je n’étouffais pas ce que je tâche d’oublier),.j’en jouirais dans toute la pureté d’une’; i douce situalion, une nos peintres viennent nous dire que la nature offre toujours a l’œil trois plan-, qui —"lit le principe de l’art optique de leurs tableaux ; moi, je leur soutiens que j’en vois quatre, cinq : tout dégrade à l’infini. Je n’ai pourtant pas l’œil aussi exercé qu’eux sur ces différences… Mon Dieu, que je souffre ! Figurez-vous qu’un i I lement affadissant me monte au cœur et me fait se : -— i. pourchasser quelques flegmes sanguinolents. L’effort de la toux sépare les èvi sd blessure de mon menton, qui saigne et me l’ait grand mal. Mais que les hommes sont diaboliques ! Mettre la vie d’un autre homme en mesure avec quelques ducats ! car voilà tout ce que ces gens v —niaient de moi. Si l’on osait dans ces occasions faire un traité de bonne loi. l’on pourrait dire aux brigands : Vous faites un métier —i dano gereux, qu’il faut bien qu’il vous profite. A com<■ bien évaluez-vous le risque de la corde ou de la ■ roue, dans voire commerce ? De mon côté, je dois