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classe barbare des conquérants par l’histoire, et non dans celle des rois.

Je me serais fait saigner à Francfort, comme c’était mon projet, si je l’avais pu sans me trop arrêter ; mais n’y pouvant rester, à cause des affaires pressées qui m’appelaient ailleurs, on ne m’a pas conseillé d’ouvrir ma veine en courant.

Et voyez comme tout est pour le mieux. Si j’avais affaibli ce jour-là mon corps par la saignée dans une ville impériale, où aurais-je pris l’audace et l’ardeur fiévreuse qui m’ont tiré d’affaire le lendemain dans une forêt de sapins ? Réellement, mon ami, je deviendrai panglossiste. Je sens que tout m’y porte. Si l’optimisme est une chimère, il faut avouer qu’il n’en est pas de plus consolante et de plus gaie. Je m’y tiens.

Vous entendez bien que je n’écris point cet horrible détail aux femmes qui prennent à moi quelque intérêt : outre qu’il est trop long, telle d’entre elles mourrait de frayeur avant la troisième page ; et peut-être ne vous l’aurais-je pas écrit à vous-même, si je n’avais craint tout ce que vos conjectures pourraient avoir de funeste, en voyant dans quelque gazette étrangère :

ii Les lettres de Nuremberg portent que des vo. leurs, qui avaient détroussé le chariot de poste il y a quelques jours, ont arrêté le li août un i. gentilhomme français, nommé M. de Ftonac, et (. l’ont dangereusemenl blessé, quoiqu’ils n’aient <. pu ni le voler, ni le tuer. >•

Allez doue, mon ami, dans tous les domiciles mâles et femelles de ma connaissance ; et, après avoir commencé par assurer que je suis bien en vie, lisez ce que vous voudrez de ma lettre, en accompagnant votre lecture de toutes les réflexions consolantes que mon bonheur doit vous suggérer. Je puis être dans trois semaines à Paris (car je ne doute point que je n’y retourne encore. I n étouffement ne tue pas un homme de ma vigueur. Pour mes blessures, je dis comme le S’Germier : La chair, la peau, tout cela revient gratis. Adieu, mon ami.

Rassemblez, je vous prie, en l’honneur du pauvre écloppé, mon père, son hôle, mon petit Gudin, l’ami Châtaigneraie, 1. épine. Tribouillard, qui vous voudrez, et, en buvant à ma santé, repassez ce détail ensemble. J’imagine que vous pouvez faire de cela un dîner aussi agréable que philosophique. Quand vous me reverrez, vous direz tous comme les paysans des villages où je passe-, et qui ont appris mon aventure par les postillons de Nuremberg, parti— avant moi.

Il— — attroupent autour de ma chaise, et mou laquais me traduit qu’ils disenl : Viens donc voir ; i oilà ci monsù ur Français qui a été tué dans U bois dt Ni uschtat. Je ris, et il— ou renl de grandes bouches d’admiration de voirlemonsicurtuéqui rit. Mais je parle d’hier, car auj’d’hui que je suis sur le Danube, je n’offre plus rien à la curiosi lé des paysans. J’ai excessivement à me louer de la comp empressée de tout ce qui m’a vu à Nuremberg, ni de la vivacité avec laquell i s’est mis en quête des brigands. M. le baron de Loffelholz, I ire de la ville ; M. de Welz, conseiller aulique, administrateur des postes ; M. Charles de I elzer, officier des postes, fils d’un médecin de l’impératrice, a Vienne’, sa fetnun.M. le baron de Ginski, Polonais, et logé dans mon auberge ; l’h< ète ( onud-Gimber, mon aubergiste, et sa famille : je d me tous ces honnêtes gens avec joie, toujours ravi quand je rem ontre quelque part les hommes ainsi qu’ils devraient être partout. J’écrivais un jour d < Istende a M. le prince de Conti, en lui faisant le détail de tout ce qui me frappait dans ce port, que -i je m’étais un peu brouillé avec les hommes à la barre du parlement de Paris, je m’étais bien racc mode avec eux à la barre du port d’Ostende. [ci c’est la même chose pour moi : j’ai repris pour les hommes, à Nuremberg, l’amour qui m’avait un peu quille à Ni’ll-clllat.

Bonjour, mou ami. Quoique j’aie haché cette lettre à dix reprises, ce qui ne la fera pas briller par la composition, je suis las d’écrire, las.1 i In assis, las d’être malade, las d’être en route, et réellement un peu bien las de voir sans cesse ma chère paresse contrariée et gourmandée par une succession rapide d’événements si actifs qu’ils m’en font perdre haleine. Il y a longtemps que tous mes amis ont dit avec moi que quand j’aurai rattrapé ma tranquillité, j’aurai bien gagné le repos après lequel je cours. Où diable est-il donc fourré ! Je l’ignore. Enfin, las d’être tourmenté, je pourrai bien quelque jour jeter mon bonnet en l’air de tous les incidents de la vie, et dire aux autres : Lu voilà assez pour moi, tâchez de mieux faire ; et c’est ce que je vous souhaite. Bonjour, mon ami.

A M. GUDIN.

Dans mon ualeai

le 16 a..ùl 1771.

Prenez voire carte d’Allemagne, mon cher bon ami ; parcourez le Danube, de la forêt Noire.i l’Euxin, plus bas que Ratisbonne, après même la réunion de llnn au Danube à Passaw, en descendant vers Lintz, où commence a peu près l’archiduché d’Autriche : voyez-vous sur le fleuve, entre deux hautes montagnes qui, eu se resserrant, le rendenl plus rapide, un.’frêle barque à six rameurs, sur laquelle un.’chaise i mbarquée contii m un homme, la tête et la main gauche envelopj — de linges sanglants, qui écrit malgré une pluie diluviale et un étouffement intérieur tout à l’ait in..lin 1>’. mais un peu diminué i-i’matin par le rcjettemenl de quelque— caillots de sang qui l’ont forl soulagé ? Encore deux ou ici— expectorations de ce genre, encore quelques efforts de la nature bienfaisante, qui travaille de toutes ses fon es en moi à repousser l’ennemi intérieur, et je pourrai