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le savoir, Monseigneur, une forte impulsion à cette machine en écrivant au nom du roi de France, à Madrid, en faveur de madame la marquise de ***. Le roi d’Espagne, pressé par un heureux mouvement de bienveillance pour cette dame, et désirant lui faire des avantages dont personne ne pût s’autoriser pour en demander de pareils (car il est dans les principes et le caractère de ce prince de n’innover sur rien), a fourni lui-même l’idée de se la faire recommander par le roi de France…

Mais reprenons les choses de plus loin et disons tout, puisque nous avons commencé à parler : une demi-confidence n’est qu’un bavardage aussi malhonnête pour celui à qui on le l’ait, qu’inutile au bien des affaires qu’on traite ; cette partie de mon mémoire sera donc expressément confiée à la discrétion de M. h 1 duc de Choiseul et non au ministre du roi de France.

Le roi d’Espagne, faible, obstiné, méfiant et dévot, menant une vie de braconnier, n’en sent pas moins très-souvent le besoin d’être amusé. L’ennui, celle maladie de tous les rois, se fait plus vivement sentir à lui qu’à tout autre. Vingt fois ses regards ont cherché dans les personnes qui l’entourent un objet dont les agréments, l’esprit et l’attachement puissent le tirer de la triste monotonie de la vie qu’il mène ; une autre maladie, qui afflige assez ordinairement les vigoureux dévots, le ferail incliner volontiers du côté d’une femme pour se l’attacher de préférence. Mais le souvenir de l’empire que la reine Amélie s’était arrogé sur lui, et la crainte d’être subjugué par quelque esprit de la trempe de celui de sa femme, l’ont toujours arrête. L’inquiétude du roi, secrète pour tout autre, n’a pu l’être longtemps pour son valel de chambre favori. Celui-ci. Italien et rusé, a forl bien pensé que s’il pouvait diriger l’attention du roi sur une femme d’esprit, il acquerrait par elle un double appui dan— le cœur de son maître, dont il ne se croit guère plus sur que les autres. Les liaisons intimes où mes affaires m’avaienl conduit avec lui, et sa confiance en moi, l’ayant engagé à s’ouvrir sans réserve sur cet important objet, je compris sur-le-champ de quelle importance pour mon pays serait le choix d’une femme habileque l’on pùl gagner, et en gager à lier secrètement sa partie avec le ministre de France, el e bien celui à qui j’avais destiné tout le fruit de mes observations trouverait dans cette liaison d’avantages pour le soutien de son pacte de famille el d’illustration pour son ministère : en conséquence je lis tomber adroitement les regards de mon homme sur une femme que je lui désignai, en semblant les parcourir toutes ; et feignant ensuite de m’y arrêter par hasard, je lui prouvai sans peine que cette femme remplirait : rveille toutes les i ditions désirées, si on pouvait la défi rminer elle même, ouvrage dont je proposais dé me charger, étant assez avant daus sa confiance. Notre projet arrêté, pendant qu’il s’occupait à faire sur le roi l’essai que j’avais fait sur lui-même, je travaillai sérieusemenl à faire naître dans le cœur d’une femme d’esprit, ambitieuse, et telle qu’il n’était pas possible de mieux choisir, le désir, d’augmenter la fortune de son mari, de se rendre utile au royaume livre a l’exaction et plongé dans l’ignorance. Je flattai son amour-propre et le roman de sa tête, en lui montrant quelles suites glorieuses pourrait avoir une liaison sage avec le roi, par laquelle ce prince, naturellement ami du bien et dirigé par elle, prendrait toutes les voies ouvertes pour tirer son vaste État de la léthargie qui eu anéantit les forces. Mais celte dame ne se jugeant pas assez forte pour conduire toute seule un plan aussi étendu, et ne voyant autour du roi personne qui ne dùtyêtre contraire, tremblait de s’y livrer, lorsque je l’ai rassurée en la flattant sur la correspondance secrète qu’elle pourrait entretenir avec vous, Monseigneur, qui de loin, par quelque agenl secret, dirigeriez toutes ses démarches au bien îles deux nations, et surtout à la conservation de la ligue contre les Anglais, à qui elle porte la haine la plus cordiale.

t’.l sur l’objection d’une vie scandaleuse avei le rui, qui répugnait entièrement à ses principes et à son goût, je la fixai entièrement en l’assurant que, loin de faire entrer pour quelque chose l’oubli des devoirs dans mon plan, je n’avais jeté lesyeux sur elle qu’afin d’être plus certain que cela n’arriverait jamais. Je lui prouvai que le roi, faible et dévot, pouvant être a tout moment arraché au plaisir par le remords, l’édifice fondé sur uni’liaison vicieuse était exposé à s’écrouler au premier choc du confesseur ; au lieu qu’une rigueur adoucie par les charmes d’une agréable société, et une union fondée sur l’estime el soutenue par le respect qu’elle lui inspirerait, sérail un moyen bien plus sur pour le gouverner, qu’une faiblesse qui le mettrai ! toujours eu guerre avec sa conscience. Le favori du roi, aussi heureux que moi, eut le plaisir de découvrir que ce prince avait plus d’une fois distingué notre héroïne de la foule. Aussitôl que le roi se fut misa son aise en lui faisant cet aveu, toutesles nuits —e passèrent a en parlerouày rêver. Enfin, paraissant vaincu par son inclination et désirant que l’iny entamât la négociation, il lui ordonna d’écrire à la dame el de l’enu’auei’a se rendre à Saint-Ildefonse pour solliciter elle-même la justice du roi sur une dette de son mari. Je l’obligeai à partir sur-le-champ. Mais aussitôt que le roi la sentit près de lui, l’inquiétude commença à le tourmenter, il donna el rétracta dix fois l’ordre de lui parler de sa part et de l’inviter à le voir en secret ; el semblable aux enfants qu’une subite terreur empêche de se livrer aux choses qu’ils oui le plus désirées, quand une occasion naturelle se présentai ! de voir celle qu’il aimait,