Qui, triomphant de la police,
Profane des Français le spectacle éhonté.
Dans ce drame effronté, chaque acteur est un vice :
Bartholo nous peint l’avarice ;
Almaviva, le suborneur ;
Sa tendre moitié, l’adultère ;
Et Double-Main, un plat voleur.
Marceline est une mégère ;
Bazile, un calomniateur ;
Fanchette, l’innocente, est bien apprivoisée ;
Et la Suzon, plus que rusée,
A bien l’air de goûter du page favori…
De madame, et mignon du mari.
Quel bon ton ! quelles mœurs cette intrigue rassemble !
Pour l’esprit de l’ouvrage, il est chez Brid’Oison.
Mais Figaro !… le drôle à son patron
Si scandaleusement ressemble,
Il est si frappant qu’il fait peur.
Et pour voir à la fin tous les vices ensemble,
Des badauds achetés ont demandé l’auteur.
On ne peut nier que cette épigramme, la plus ingénieuse de toutes celles qu’on a prodiguées à ma pièce, ne donne une analyse infiniment juste de l’ouvrage et de moi. Il eût été seulement à désirer que l’auteur, moins pressé de jouir des applaudissements du public, en eût plus soigné le français et la poésie. On ne dit guère en effet qu’un acteur est un vice, parce qu’un acteur est un homme et qu’un vice est une habitude criminelle.
Il n’est pas exact non plus de nommer l’adultère un vice. Si l’impudicité mérite ce nom. l’adultère qui n’en esl qu’un simple acte, une modification, est seulement un péché. Nous disons : Il a commis le péché d’adultéré, et mm le vice d’adultère, un eût peut-être encore montré plusde goût, eu on-tirant le ton de la comédie, m l’on eût l’ait grâce aux lecteurs Français des mots un peu hasardés de goûter du page favori, etc., etc. Mai— ce s’ait la de faibles taches dans un ouvrage aussi rempli d’esprit que de justesse ; et je ne lai— os remarques légères qu’en laveur des jeunes gens qui s’exercent beaucoup dans ce genre estimable.
Au reste, >i l’épigramme, arrivant du cintre du spectai le, a été reçue à grands coups de sifflets, l’auteur n’eu doit pas conserver une moins bonne opinion de son ouvrage et de sa personne. Les nouveautés même les plus piquantes ont de la peine à prendre, et je ne doute pas qu’enfin on ne réu sisse à faire adopter celle façon ingénieuse de s’emparer de l’opinion publique, et de la diriger sur les ouvrages dramatiques.
AT’ROI
La seule chose qui lût en mon pouvoir avant mon malheur était de ne le point mériter ; la seule qui me reste après m’ètre soumis avec respect au coup affreux qui m’a frappé esl de mettre humblement aux pieds de Votre Majesté les accents de ma douleur, et les preuves de mon innocence. Grièvemenl insulté dans eJourhal deParis par un anonyme, sous le nom d’un prêtre 5, j’ai cru devoir reprocher aux journalistes l’abus qu’ils faisaient de leur permission d’imprimer ; puis, voulant comparer les grand— obstacles que j’ai <ii vaincre, pour taire jouer une comédie, aux attaques multipliées qu’on dédaigne après le succès, de même que j’aurais dit :
Après avoir combattu des géants, dois-je marcher sur des pygmées ? ou bien :
Après avoir lutté quatre ans contre une armée à découvert, dois-je user ma force aujourd’hui contre un écrivain qui se cache ? Si j’ai préféré d’imiter la métaphore du Psalmiste : Super aspidem et basiliscum ambulabis, et conculcabis leonem et draconem 33, c’est que, répondant à un prêtre, elle s’est présentée la première à mon esprit ; dans le rapprochement figuré de ces deux genres d’ennemis, j’ai nommé ceux-là lions et tigres, parce qu’ils m’ont fait beaucoup de mal ; ceux-ci insectes de la nuit, parce qu’en effet c’est l’abus des presses nocturnes qui fait naître tous les matins ces viles insultes anonymes, qu’il serait bien à désirer qu’un sage règlement réprimât.
Par quelle horrible méchanceté s’est-on permis, Sire, de tordre le sens d’une phrase indifférente écrite au sujet d’une comédie, de façon à irriter Votre Majesté contre moi ? par quelle fatalité plus grande encore sont-ils parvenus à y réussir ? Voilà, Sire, ce qui confond ma raison, et me pénètre de douleur.
Le témoignage que je vais invoquer, pour montrer au roi combien en écrivant j’étais loin de l’exécrable clémence de vouloir offenser mes maîtres, ne saurait leur être suspect : c’est celui du plus noble surveillant des actions de tous leurs sujets, celui du ministre de Paris, de M. le baron de Breteuil ; je supplie ce sage administrateur de
Cette lettre, complétement inédite, se trouve aussi dans les manuscrits achetés à
Londres pour le Théâtre-Français. La date
manque, mais on peut aisément lui en trouver une du 25 mars au
15 avril 1785. Tout le monde sait, en effet, que Beaumarchais, victime
enfin de la lutte où les taquineries du Journal de Paris l’avaient
entraîné depuis quelques mois, préparait à cette époque un mémoire
pour demander au roi justice de l’ordre d’incarcération que ses ennemis
du Journal et de la cour de Monsieur avaient obtenu contre
lui, et qui lui avait fait passer près d’une semaine à la prison de
Saint-Lazare. La lettre donnée ici est ce mémoire. — Sur cet incident, qui clot l’histoire du Mariage de Figaro, voir de longs détails
dans l’Introduction. Ed. F.
22. L'abbé Suard, frère du journaliste académicien. Ed. F.
33. Tout ceci se trouve dans sa lettre du 6 mars 1785 au Journal de Paris, qui amena le soir même son arrestation. Ed. F.